La quête de vision Pour les Sioux Lakota, la Vision (hanble) diffère de la vision ordinaire ; il s’agit du « Rêve », c'est-à-dire de la vision extraordinaire, avec l’œil du cœur ( Cante ishtan), ou le troisième œil, de l’essence de la nature, alors que la vision ordinaire ne perçoit que les existences.
La vision peut être spontanée, ou induite de différentes façons. La hanbleceya ( imploration du rêve) est un rite spécial, qui est un point culminant de l’évolution spirituelle des Sioux Lakota.
Quand un garçon atteint l’âge de la puberté, il doit aller « chercher » une vision, sous la supervision des chamans, pour avoir une direction dans sa vie.
A tout moment de sa vie, un Lakota pouvait avoir recours à ce rite. Crazy Horse, le grand homme des Lakota, s’adonnait régulièrement à la quète de vision.
Le pratiquant, après avoir été instruit par un wicasa wakan (chaman), part pour une colline isolée, et là, jeûnant, méditant et implorant, munie d’une pipe wakan (sacrée), il attend que le « monde pouvoir » se manifeste à lui.
La quête doit durer quatre jours et quatre nuits.
La quête de vision selon Archie Fire Lama Deer :Ce n’est pas commode d’expliquer ce qu’est une vision. On la reçoit quand on est conscient, bien réveillé. On la voit devant soi, comme quand on allume la télé. On est là, très concentré sur la prière, et soudain on se voit faire quelque chose de bien précis, ou on voit un aigle qui pénètre dans la fosse (il s’agit parfois de creuser une fosse dans le sol et de s’y allonger pour attendre la vision), comme cela arriva à mon père. Ce sont là des visions, et elles arrivent quand on est conscient, ou en tout cas suffisamment réveillé.
Il y a aussi des images et des scènes que vous voyez dans un demi sommeil, ou en dormant. Ce sont plutôt des rêves que des visions, mais ils ont leur importance. Mais ils doivent venir à vous, et pas de vous. Il faut faire la part de ce qui est réel et de ce qui est imaginaire. Ce n’est pas toujours chose facile.
Parfois, on « entend » la vision, on ne la voit pas. Vous êtes là-haut, et vous entendez une voix parler Hanblogaka, langue du monde des rêves, qui n’est accessible qu’à un homme médecine. Pendant une quête de vision, des oiseaux ont parlé à mon père, qui n’a eu aucun mal à les comprendre.
J’avais douze ans lorsque mon grand-père me conduisit en haut de la colline. Au milieu de mes prières, j’eus soudain la sensation de planer dans les airs d’où mon regard plongeait vers la terre, dans un éblouissant tourbillon aux couleurs arc-en-ciel. L’impression de réalité en était saisissante. Je n’eus pas d’autre vision et j’en ignorais la signification. A peu près au même moment, la foudre tomba non loin de là et mes rêves de la nuit furent peuplés de chevaux. Quand je racontais cela à trois de nos anciens, ils me dirent : « Désormais, tu es un heyoka. Tous les jours, tu devras faire quelque chose à l’envers ! » Il devait s’écouler quinze ans avant que je n’entreprenne une nouvelle Hanblecheya, qui bouleversa ma vie de heyoka pour faire de moi ce que je suis aujourd’hui.
Archie Fire Lama Deer Ce n’est qu’à plus de trente ans que je me lançais dans ce que je considère comme ma véritable quète de vision. J’accompagnais mon père qui rendait visite à un ami, en Californie, pour bénir sa résidence. Sous le coup d’une impulsion subite je déclarais à mon père : « Je crois le moment venu pour moi d’aller sur la montagne. Peux-tu m’y conduire ? » Mon père me regarda en souriant. Il bourra la Pipe avant de répondre : « Je ne peux pas t’y conduire, et je ne crois pas que personne puissent t’y conduire. Tu seras ton propre guide. Va ! ».
Je fus un peu déçu de son refus, qui me laissa perplexe ; pourtant, je lui fis au revoir de la main avant de grimper sur la colline. J’y restai quatre jours et quatre nuits, sans recevoir la moindre vision. Puis, le dernier jour, alors que j’étais sur le point de redescendre, je sentis soudain mon esprit se détacher de mon corps. En un clin d’œil, j’étais au faîte d’un chêne, d’où je regardai mon corps, couché sur le dos, tout en bas. Du sud arriva une forme étrange, aux contours flous, qui s’adressa à moi en lakota : "Nous sommes venus pour toi, et nous allons t’emmener avec nous. » Cette apparition s’efforçait, en tirant dessus, de faire bouger mon corps, et je me mis à rire. Mon corps faisait partie du monde terrestre, et mon esprit, en haut de l’arbre, du monde spirituel. C’est pourquoi celui qui imprimait ces secousses à mon corps ne me voyait pas, ce qui me semblait très drôle, à moi qui était là, au milieu des feuilles.
Alors du nord arrivèrent deux autres formes. Je savais que la première apparition était Nagi, l’Ombre ou le Fantôme. La deuxième était Niyah, l’esprit ou le souffle de la Vie, et la troisième était l’esprit du Ciel et des Nuages. La première apparition continuait à tirer sur mon corps, mais les deux autres lui dirent :" Laisse-le tranquille. Il est des nôtres. Sa tâche ne fait que commencer, mais un jour elle sera accomplie ; alors nous viendrons tous les trois le chercher, car il en est ainsi. » C’est au milieu des rires et des chants qu’ils repartirent vers le nord.
Je vis ensuite, au-dessous de moi, mon père ; assis, la tête baissée, il avait repoussé son vieux chapeau de cow-boy vers l’arrière. Et tout d’un coup, mon esprit réintégra mon corps. Je regardais en direction de mon père, mais il avait disparu, tout comme la souche sur laquelle il était assis. Il n’était que cinq heures de l’après midi, et le soleil brillait encore dans le ciel ; pourtant une grande frayeur s’empara de moi. Cette première apparition, je le savais, avait essayé de m’emmener dans le monde des Esprits.
Je dévalais la montagne à toutes jambes avant de sauter dans ma voiture et de revenir, aussi vite que je pouvais, à la maison dont nous étions, mon père et moi les hôtes. J’y entrai en courant pour trouver mon père, assis au coin du feu, dans la position exacte où il m’était apparut sur la montagne. Il leva les yeux et sourit : » Je viens juste de te préparer du café. Tiens, un peu de pejuta sapa, de « médecine noire ».
Je pris la tasse de café fumant. Mon père alluma une cigarette, et je m’assis à côté de lui.
J’allais lui raconter ce qui m’était arrivé dans ma quête de vision, mais il m’interrompit sitôt que j’ouvris la bouche. « Il est inutile de me raconter. J’étais là. Mon esprit était là. Je les ai vus, et maintenant je sais ce que tu es. Tu as fait l’expérience de ce pouvoir spirituel ; il est passé de moi à toi, et il passera de toi à ton fils. Il se transmettra de génération en génération tant qu’il restera un Lame Deer. Tu n’as pas besoin de m’expliquer quoi que ce soit. L’heure de mon départ est arrivée. Je suis prêt. »
Un mois et demi après, mon père eut un accident de voiture. Il fut sérieusement blessé, et jamais il ne s’en remit. Il traîna quelque temps, puis finit par entendre l’appel du hibou.
Je revins de cette quête de vision doué du pouvoir de lire sur les visages ce que l’avenir réserve au gens. Cela ne marche pas toujours, mais c’est vrai dans la plupart des cas. Pourtant, après avoir regardé un visage, je ne vais pas dire à quelqu’un que sa compagne va l’abandonner, ou que sa famille va se désunir. Peut-être la prochaine fois y aura-t-il deux personnes en moins, mais je n’ai pas le droit de parler de ces choses là. Ce que je sais, je dois le garder pour moi. Parfois des femmes ont également ce pouvoir. Mon père m’a dit qu’une fille peut recevoir une vision en recueillant ses premières menstrues et en les déposant dans la fourche d’un arbre.
Quand mon père m’expliqua que nos anciennes cérémonies et nos croyances se transmettaient de génération en génération, et que j’étais un maillon de la chaîne, il savait de quoi il parlait. A l’âge de onze ans, mon fils John me dit : "Papa, je veux entreprendre une quête de vision. J’ai un problème : bien que je sois déjà assez grand, j’ai toujours peur du noir. Si je reste là haut quatre jours et quatre nuits, j’en serai guéri. Je veux le faire en haut de Bear Butte, qui est un lieu sacré ». Je fus si ému que j’en eu les larmes aux yeux, et sa mère partageait cette émotion. Nous étions en voiture ; je m’arrêtai au bord de la route, et je lui dis « Tu es trop jeune. Quatre jours et quatre nuits, c’est très dur pour un garçon de ton âge Attends un an ou deux. »
Bear Butte
Je l’installai sur la montagne pour qu’il y reste un jour et une nuit. L’endroit qu’il choisit était comme une petite forteresse, bordée de falaises abruptes sur le devant et les côtés ; le seul accès possible était par l’arrière. Bear Butte** a la forme d’un ours, et l’endroit où mon fils étendit sa peau de bison était la tête de l’ours. Juste en dessous, entouré de pins, se trouvait le site où les Cheyennes se réunissent pour prier et célébrer leur danse du Soleil. J’étais content qu’il ait choisi ce lieu particulier pour sa quête de vision. Pour le détendre, je plaisantai : "Mon fils, tu aimes manger. Tu auras peut-être la vision d’un hamburger, d’un Pepsi, ou de frites. » Mais à la fin je lui dis :" A présent, il nous faut être sérieux, très sérieux. » John s’installa sur sa peau de bison, et se mit à fumer sa Pipe comme un homme. Les larmes me montèrent aux yeux : l’enfance était finie.
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Voir le poste Heyoka le clown sacré-
https://le-cercle-de-samsara.niceboard.com/t1397-heyoka-un-clown-homme-medecine?highlight=Heyoka+le+clown+sacr%E9#4663Extrait de – Le cercle sacré- Archie Fire Lame Deer éd Albin Michel