IDENTIFICATION HUMAINE ET FORME ABSTRAITE En raison de leur forme – un tronc central et des branches qui ressemblent à des bras et des doigts, une écorce semblable à la peau – les arbres s’identifient facilement à la forme humaine, et ont souvent été revêtus symboliquement de caractéristiques anthropomorphiques, conduisant à un lien avec les symboles de la fertilité dans certaines cultures. On lit dans le Cantique des cantiques de la Bible, à propos de la femme bien-aimée: «Ta taille ressemble au palmier et tes seins à des grappes» (7:8-9), et elle répond «Comme un pommier au milieu des arbres de la forêt, tel est mon bien-aimé parmi les jeunes hommes. J’ai désiré m’asseoir à son ombre, et son fruit est doux à mon palais» (2:3).
Dans plusieurs mythes grecs, les jeunes filles ou les nymphes poursuivies par les dieux suppliaient d’autres divinités de les protéger et celles-ci les changeaient en arbre. Daphné a été sauvée d’Apollon de cette manière; elle a été transformée en laurier, qu’Apollon a ensuite utilisé comme son symbole, décorant sa lyre de feuilles de laurier et les utilisant comme une couronne. Parmi les autres nymphes des bois dans les mythes grecs et romains on peut citer Leuke ou Leuce, un peuplier blanc, aimé d’Hadès; Philyra, le tilleul, qui a donné naissance à un Centaure et désirait se transformer en une forme autre qu’humaine, et Pitys, une nymphe chaste poursuivie par le dieu Pan, qui a été changée en sapin ou pin noir. L’histoire de Baucis et Philémon est un autre intéressant mythe de transformation en arbre. Ce mari et cette femme pauvres étaient les seules personnes de leur village à offrir l’hospitalité à deux dieux qui visitaient la terre déguisés en mendiants; comme récompense, ils n’ont pas seulement été inondés de richesses mais il leur a été assurée une vie dans l’au-delà ensemble sous la forme d’un tilleul et d’un chêne issus de la même racine.
L’identification des arbres avec le corps humain se retrouve aussi dans le yoga, le système hindou de méditation. Dans la pose de l’arbre, par exemple, le corps perd de son poids pour créer le sens de l’attraction vers la terre, alors que les bras sont étendus simulant des branches. Cette pose a pour but d’instiller une sensation d’enracinement et de croissance vers le haut.
La plupart de ces mythes et pratiques indiquent une identification profonde avec les arbres comme réceptacles des esprits et des âmes, une croyance commune à un grand nombre de cultures. En Australie, les aborigènes du Warlpiri occidental croient que les âmes s’accumulent dans les arbres et attendent le passage de la femme adaptée pour leur permettre de sauter dehors et d’être nées (Warnayaka Art Centre, 2001).
Les arbres de haute taille et résistants ont souvent été identifiés avec des hommes courageux ou justes; on en trouve de nombreux exemples dans la Bible et le Coran. Un exemple actuel est la prime de service octroyée en Afrique du Sud, à savoir l’Ordre du Baobab. Le grand baobab, avec son puissant système racinaire en saillie, détient un pouvoir magique et a une valeur symbolique pour les populations africaines autochtones, et sert de lieu de réunion et d’abri sûr pour les sociétés africaines traditionnelles. La prime reconnaît les qualités de vitalité et d’endurance que l’arbre incarne (J. Tieguhong, communication personnelle, 2003).
En outre, nombreux sont les objets, concepts abstraits ou actions qui rappellent la structure (ramification, axe central) ou la stature de l’arbre. C’est ainsi que, dans de nombreuses langues, il est utilisé comme métaphore (arbre généalogique, tronc cérébral, branches de la science, etc.). Il pourrait être à l’origine de la notion de systèmes (circulation, interconnexion, hiérarchie) (Harrison, 1992) – un bon exemple est «l’arbre des veines» inventé par Leonardo da Vinci au XV e siècle pour expliquer la circulation sanguine humaine. On pourrait dire que les arbres ont fourni des structures à la pensée elle-même.