Ce Tarot Tzigane n'est pas issu d'une combinatoire analogique, et n'est ni une copie ni une interprétation, en images nouvelles, du Tarot présent dans la Tradition Occidentale et plus précisément européenne, dont l'exemple parfait, c'est-à-dire qui ne peut être amélioré ou altéré, reste le Tarot de Marseille. (1)
Il est instructif, parce qu'il renouvelle l'imaginaire des Occidentaux grâce à l'apport immémorial de la vie extérieure et intérieure d'une race habituée à vivre en liaison étroite avec l'Intangible, aussi bien qu'en observation et réaction constante avec le Tangible, condition de sa survie.
Pour la première fois, le Tarot Tzigane rend public certains détails essentiels de l'histoire, de la tradition, de la symbolique propre à ceux qui s'appellent entre eux « Romané Chavé », Frères Roms, ou Frères Hommes, et qui sont connus sous les divers noms que les non-Roms leur ont donné et leurs donnent encore, « Tziganes » restant le plus connu en Europe, sans qu'on puisse se mettre d'accord sur l'origine ou la signification de ce nom.
Ceux de « Gypsies » ou « Gitanos » ayant le mérite de montrer clairement la leur : Egyptianos, parce qu'ils étaient confondus avec des Égyptiens, de peau basanée, ou bien simplement parce qu'ils venaient d'Égypte, ou d'Afrique du Nord, dans leurs pérégrinations.
D'autres jeux de cartes ont prétendu montrer la tradition romani. En réalité, ils n'ont fait que refléter l'opinion de leurs auteurs (non-roms) sur les Tziganes comme véhicule de la connaissance. Or, la vraie tradition romani était jusqu'à présent extrêmement fermée. Les Tarots sont dessinés à la main pour n'être jamais destinés aux non-roms et leur circulation reste secrète. Un Tarot est destiné à une personne particulière, et comporte souvent une allusion à des circonstances de sa lignée ou de sa naissance, en particulier à un de ses « noms » secrets, qui ne doivent même pas être prononcés, car ils donnent un pouvoir de vie et de mort sur la personne. Issue de traditions très préservées comme celle des Jaïns ou celle par exemple du Chakravarta ou Maître du monde, dont l'ésotériste René Guénon (2) s'est emparé d'après un ouvrage à clefs maçonniques de Saint Yves d'Alveydre, cette tradition secrète est puissamment originale.
Le « Tarot Tzigane » comporte une longue suite d'arcanes non numérotées, qui n'indiquent pas un chemin déterminé mais plutôt une suite d'étapes que chacun, selon sa vie et son évolution propre, peut rencontrer dans un ordre différent. Ainsi, on peut le faire « commencer » par TATAGHI, le Coeur de Feu entre les Étoiles, mais il va de soi qu'on peut le faire terminer par lui.
Ces Arcanes, ou Portes des Mystères, se trouvent être au nombre de 22. On sera tenté d'y voir une correspondance avec les Arcanes Majeurs du Tarot de Marseille. Il vaut mieux penser, avec la Psychologie des Profondeurs (3) qui rejoint les conclusions de la Physique des Particules (4), que le nombre étant un « matériau de base » de notre Univers, ce que pensait déjà Pythagore..., celui de 22 a une signification particulière pour l'être humain. Le 22 paraît marquer un achèvement, une complétude, correspondant à une structure interne du système nerveux. (Cf. le nombre des aminoacides, indispensables à la vie).
Quatre courtes séries complètent ce Tarot, montrant les 4 grandes « Kumpania », ou Tribus, du Peuple Rom : Kalderash ou. Roms, Mannush, Gypsies et Gitans — il se trouve que, comme dans le Tarot de Marseille, le chiffre 4 se trouve affecté aux Séries. Dans chaque série, on rencontre le Père, qui apporte le Passé ; la Mère, qui maintient l'Equilibre ; l'Enfant, qui va vers le Futur, et l'Outil qui permet ou engendre cette triade de base. Quatre « Outils » se manifestent donc : le couteau, qui vient de l'Épée, arme du Rajput ancêtre du Rom (le mot est passé dans la langue française : surin.)
Les lové — la monnaie, qui est l'arme des Tziganes commerçants. Les pots, qui sont fabriqués et utilisés pour les cueillettes par les Tziganes des pays celtes. Le bâton, qui une fois travaillé devient instrument de musique, violon ou guitare.
Ces quatre Outils ne sont pas non plus sans rappeler les séries des Arcanes Mineurs du Tarot de Marseille. Ce n'est pas une coïncidence. C'est simplement que l'être humain a fabriqué au cours des siècles, pour vivre et pour évoluer, quatre formes pratiques qui sont devenues symboliques, et il n'est pas surprenant de les retrouver partout, y compris chez les Roms !
L'Univers tzigane est coloré, chatoyant, somptueux même dans l'extrême misère financière, volontiers scintillant ou mieux, doré. C'est ce que la graphiste Monique Arnold — une non-Tzigane, qui a réussi à transcrire le monde rom telle qu'elle l'a ressenti — et moi-même avons exprimé dans le cadre des cartes, qui reprend un dessin dans le style traditionnel rom, montrant l'importance de la roue, cercle, cycle, voyage et centre, qui repasse sur lui-même mais jamais au même endroit. Nous avons choisi un graphisme simple, qui lui aussi reste conforme aux représentations traditionnelles des Roms, et ne noie pas le symbole dans l'anecdote.
(1) Voir « Le Tarot, Pourquoi, comment, jusqu'où » par Tchalai, notice d'accompagnement du Tarot de Marseille. éditions Grimaud 1981, 82, 83.
(2) « Le Roi du Monde » par René Guénon.
(3) Volr les travaux du Jung et Pauli, ou ceux de Marie-Louise von Franz, aux Éditions de La Fontaine de Pierre. (5).
(4) Voir » La Plénitude et l'Ordre lm plié », de David Bohm, traduction de Tchaiat Unger, Éditions du Rocher.