La voyante

L'autre plus vieux métier du monde a beaucoup changé ces dernières années. La chouette empaillée, le look gitane et la prédiction péremptoire du style "vous épouserez un grand blond" sont en très net recul. Ma voyante - il fut un temps où, dans un journal sérieux, ce possessif vous rapprochait de la porte - incarne parfaitement le nouveau style "psy" de la profession. En dehors de rares cyniques exploiteuses de gogos, le don d'Adèle choisit des êtres qu'un abandon ou quelque autre blessure a marqués au départ. Il faut cette douleur initiale pour qu'un beau jour une fillette, plus rarement un garçon, s'aperçoive qu'elle ou il fait peur aux copains en leur parlant de voleurs à la veille d'un cambriolage. Si cela se répète trop souvent, elle ou il rejoindra la cohorte de ceux qui violent l'article 405 du Code pénal et "font naître l'espérance ou la crainte d'un succès, d'un accident ou de tout autre événement chimérique". Pas si chimérique que ça, car la pythonisse est plutôt encline à garder les pieds sur terre, et ne fournit pas les numéros gagnants du Loto. Elle a mieux à faire. Voyante de notre temps, elle aide l'homme d'affaires ou le politique à susciter l'événement, ce contrepoint de l'âme. Et à savoir si la route est libre ou obstruée.

Ma cartomancienne - appelons-la Julie, le fisc est si méchant! - est de la nouvelle école. Elle a exploré sa médiumnité, réfléchi sur l'action qu'elle exerce, fait une analyse. Faute de ce travail sur soi de nature plus ou moins freudienne, la voyante s'expose à être une apprentie sorcière. Elle "projette" et, sans s'en apercevoir, encombre le consultant de ses propres problèmes, prédisant des ruptures parce qu'elle fut plaquée. Surtout, ce qui est pire, elle "prend le pouvoir" sur des gens en désarroi.

Julie a de bonnes raisons de penser que Jacques le Fataliste est un âne. Que rien n'est écrit dans le Grand Livre. Que chacun rédige son chapitre, sait où il va, mais ne sait pas qu'il le sait. Car la "nouvelle voyante" - psychothérapeute autant que divinatrice - travaille sur l'inconscient, voit venir avec lui les turbulences et les zones de calme, ne prédit pas qu'une tante à héritage va mourir, mais constate que les problèmes d'argent vont disparaître. Elle prévient son client du péril qu'il peut éviter comme l'ingénieur météo avise un pilote. C'est un exercice épuisant et difficile. Julie, qui est sérieuse, ne reçoit que deux ou trois consultants par jour. Mais ils reviennent.