Les écrivains et les poètes du temps en parlent fréquemment, ce qui témoigne de leur utilisation courante.
C'est ainsi que, dans son Grand Testament, composé en 1461, François Villon le présente aux amants transis :
A leurs chevets de pleurs et larmes
Très tout fin plain ung benoistier
Et ung petit brin d'esglantier
En tout temps verd, pour goupillon
Pourvu qu'ils diront ung psaultier
Pour l'âme du pauvre Villon. (huitain CLV)
Et dans son Journal, Héroard, médecin de Louis XIII, raconte le fait suivant sur l'enfance du Roi :
Allant à la chambre de Mademoiselle de Vendôme où Madame lui donne son petit bénitier d'argent, il y fait mettre de l'eau bénite et va en donnant à chacun. Je lui demande : Monsieur, est-ce de l'eau bénite de cour ? - Non, Mousu Héroua, c'est de la bonne !
Le bénitier en question était probablement très finement décoré, comme tous ceux, en or ou en argent, utilisés par la noblesse, mais la plupart d'entre eux ont disparu, dans les fontes ou les pillages des guerres de religion et de la Révolution.
Par contre, le bénitier-seau courant, utilisé dans les humbles demeures foréziennes, n'était, le plus souvent, pas décoré, mis à part les bénitiers en bronze coulés par les fondeurs du Puy, qui présentaient, en bosse, de petits motifs répétés montrant le Christ, la Vierge ou les saints.
Mais quand le Concile de Trente eut, en réaction à la Réforme protestante, recommandé d'instruire le peuple chrétien des vérités de la religion par tous les moyens et notamment par l'image, on vit apparaître, à la maison, le bénitier-applique c'est-à-dire non plus le seau qui ne permettait pas d'embrasser d'un seul coup d'œil l'ensemble de sa décoration, quand il en présentait une, mais l'applique plate, ornée en son centre d'un motif religieux, avec, au bas, fixée à elle, la cuvette que l'on remplit d'eau bénite. C'est sous cette forme que le bénitier de chevet s'est répandu dans tous les pays catholiques depuis la fin du XVIe siècle.
Que montre-t-on sur son applique ? Une très grande variété de sujets se rapportant à Dieu ou à l'Eglise. Le plus souvent, c'est le crucifix, car si l'Eglise n'a jamais demandé aux fidèles de posséder un bénitier de chevet, qu'elle considère comme un objet privé, par contre elle a toujours désiré que chaque foyer chrétien ait au moins un crucifix dans sa maison, pour y témoigner de la présence du Christ. C'est pourquoi les fabricants de bénitiers ont, en premier décor, façonné sur leurs pièces le crucifix, permettant ainsi aux familles pauvres de ne pas faire deux achats.
Après le crucifix c'est la simple croix que l'on rencontre fréquemment. Puis la Vierge Marie, le plus souvent avec L'Enfant Jésus, mais également seule, en Reine d'apparition ou en Assomption vers le ciel. Le Saint-Esprit apparaît toujours sous la forme d'une colombe qui déploie ses ailes au centre ou au haut de l'applique.
On peut voir également, sur l'applique de bénitiers plus élaborés de nombreuses scènes évoquant la vie de Jésus, par exemple l'Annonciation, avec l'ange Gabriel, une branche de lys, symbole de la pureté, à la main, apparaissant à la Vierge sagement assise ; la naissance de Jésus, entre Marie et Joseph, avec le bœuf et l'âne et parfois les bergers et les mages ; le baptême du Christ par saint Jean ; l'apparition de Jésus à la Samaritaine, la guérison de l'aveugle-né, etc.
La passion donne lieu à de multiples représentations : c'est Jésus, à genoux, au jardin des Oliviers, Jésus flagellé, l'Ecce Homo (Jésus aux liens), partant sa croix, présentant sa sainte face douloureuse, sa descente de croix, la Piéta, c'est-à-dire sa sainte mère assise, soutenant sur ses genoux le corps inanimé de son fils. Et la Résurrection, le CHRIST-ROI, le Christ en Majesté. La dévotion au Sacré-Cœur motive aussi le décor du bénitier : on nous montre tantôt le cœur de Jésus, tantôt les deux cœurs de Jésus et de la Vierge, tantôt le buste du Christ qui, la poitrine ouverte, nous désigne son cœur de son index tendu, tantôt Marguerite-Marie, la voyante de Paray-le-Monial.
Parmi les objets religieux offerts en cadeau de première communion, le bénitier de chevet venait en bonne place et on choisissait celui dont la décoration pouvait le mieux éveiller le sens chrétien du jeune communiant. Par exemple, l'Eucharistie présentée soit sous la forme d'un ostensoir d'où partent des rayons de gloire, soit sous celle d'une hostie émergeant d'un calice. Mais c'est plus encore le bénitier présentant l'ange gardien qu'on offrait à cette occasion.
Car, si de nombreux bénitiers montrent dans leur décoration des anges qui entourent, surplombent ou supportent la scène principale, il en est d'autres où l'ange est seul : soutenant de ses deux bras tendus la cuvette qu'il maintient sur ses genoux, il offre l'eau bénite.
La céramique a, depuis le début du XIXe siècle, produit de nombreux bénitiers de ce dernier type et on peut les dater facilement d'après 1'expression du visage angélique : grave, recueilli, tout spirituel vers 1810, il se banalise plus tard pour devenir, vers 1900, un jeune enfant ailé et bouclé, au sourire mièvre, aux cheveux parée d'une étoile dorée.
Sur d'autres pièces, l'ange a une attitude éducative : c'est ainsi qu'on le verra debout. Levant le bras droit, l'index tendu vers le ciel, tandis que sa main gauche posée à plat sur la poitrine exprime la garde du cœur. Il peut avoir, à son côté, un enfant qui l'écoute, la tête levée ; parfois, ce sont deux enfants, un garçon et une fille, ce qui permettait d'offrir le bénitier aux communiants des deux sexes.
Un bénitier montre un ange adolescent soutenant de son bras gauche la croix tandis que sa main gauche serre un missel : l'expression grave et sereine du visage angélique était sans doute celle que l'aïeule aurait voulu reconnaître chez son communiant.
Car c'étaient souvent les grand'mères qui offraient un bénitier à leurs petits-enfants ; ainsi que me l'a confié une antiquaire parisienne, elle voit revenir dans sa boutique chaque année, avant les premières communions, de vieilles clientes qui, ayant toujours offerts ce genre de cadeaux, continuent ces donations pour leurs arrière petits enfants.
Les saints ont aussi une grande place dans la décoration du bénitier. Un baptême ou une première communion était l'occasion de remettre à l'enfant le bénitier présentant le saint patron dont il portait le prénom. Certains de ces bénitiers, en céramique, étaient d'ailleurs des pièces uniques que l'on commandait aux faïenciers de Lyon, Nevers ou Roanne : indépendamment du portrait du saint, ils mentionnaient les nom et prénom de l'enfant, ainsi que sa date de naissance. Dans cette catégorie d'objets, que l'on appelle bénitiers patronymiques, il faut inclure celui que le faïencier façonnait pour sa fiancée, avant son mariage : on y voyait les deux saints patrons et une légende qui portait les deux noms et prénoms.
On peut trouver en Forez beaucoup de bénitiers présentant saint François-Régis, le saint Curé d'Ars, Sainte Marie Alacoque, pièces que l'on rapportait des pèlerinages à la Louvesc, à Ars, ou à Paray-le-Monial. Car, dans chaque lieu de pèlerinage on ne manquait pas - et on continue encore aujourd'hui - d'offrir, à la vente, des bénitiers de chevet.
C’est pourquoi on peut en voir aussi beaucoup qui montrent Notre-Dame de Fourvière, Notre-Dame de Lourdes et Sainte Bernadette, Notre-Dame du Puy, de la Salette, de Valfleury, avec des représentations très variées des apparitions.
Mais c'était souvent par le colporteur qu'on acquérait un bénitier. Sa balle en présentait plusieurs modèles : on y trouvait, outre des pièces en bois, en métal, ou en porcelaine, des bénitiers en faïence blanche ou polychrome.
Ces pièces pouvaient provenir des faïenceries de la région, soit Brives-Charensac, Charolles, Clermont-Ferrand, Lezoux, Moulins, Roanne, Saint-Georges-deBaroille, ou même de fabriques plus lointaines : Auvillars, Quimper, Samadet.
Ces bénitiers se transmettaient de génération en génération et si l'usage en a été perdu entre les deux guerres, et surtout après la seconde guerre mondiale, il y a encore beaucoup de vieilles chambres où, on les conserve au-dessus du lit, tels qu'ils étaient autrefois. C'est ainsi qu'on peut y voir accroché le brin de buis béni le jour des Rameaux et parfois un chapelet qui, ceinturant le bénitier, laisse pendre sa croix au-dessous de la cuvette : en cas d'orage, on faisait brûler quelques feuilles du buis dans la cheminée pour se préserver de la foudre ; le brin de buis, plongé dans un verre d'eau bénite posé sur la table de nuit des défunts, servait aussi de goupillon pour asperger leur dépouille. Parfois le bénitier était utilisé pour des pratiques superstitieuses : ainsi quand de jeunes enfants perdaient leurs premières dents, on les plaçait dans le bénitier pour être sûr qu'il leur en pousserait d'autres.
Dans toute l'Europe catholique, on a utilisé le bénitier de chevet dans des conditions à peu près semblables à celles de la France avec cependant quelques variantes : c'est ainsi qu'en Italie on plaçait deux bénitiers dans la chambre conjugale, un de chaque côté du lit ; ces bénitiers étaient de même facture, mais leur sujet central différait : du côté de l'époux, c'était le Christ, et du côté de l'épouse la Vierge.
Dans certains pays : la Pologne, la Belgique, l'Irlande, les bénitiers étaient placés à l'entrée de la maison. Les hôtes les utilisaient en sortant et les visiteurs en entrant. En Roumanie on donnait de l'eau bénite à boire aux malades.
Si l'usage du bénitier s'est, comme en France, raréfié dans de nombreux pays, par contre il est resté très vivace dans certains comme la Pologne et le Tyrol. En Pologne des potiers et des potières façonnent encore des bénitiers que l'on vend couramment dans les magasins de l'état communiste. Il en va de même en Autriche et particulièrement au Tyrol où l'on peut s'en procurer non seulement dans les magasins d'objets religieux, mais aussi dans les bazars et les drogueries. Dans les églises il y a près de la porte d'entrée, de grands récipients en cuivre, surmontés de la croix et pourvu, à leur base, d'un robinet où l'on voit des fidèles venir remplir des bouteilles pour alimenter leurs bénitiers domestiques.
En France même, quand on pénètre dans l'église Saint-Sulpice, à Paris, on découvre à gauche une grande jarre portant sur sa panse, en gros caractères "EAU BENITE" qui sert au même usage. Mais ce qu'il faut aussi admirer dans cette église, ce sont les deux bénitiers : portés par des soubassements de marbre simulant le fond des mers sur les deux piliers d'entrée de la nef, ils offrent l'eau bénite aux fidèles par une très large ouverture de 88 X 53 cm et pèsent chacun plus de cent kilos.
Offerts par la République de Venise au Roi François 1er, ils sont constitués par la simple coquille du tridacne, mollusque géant qui hante les mers tropicales. Cette utilisation religieuse fréquente a d'ailleurs valu, à l'animal, le nom de bénitier. Sa coquille est non seulement très grande, mais sa force l'est aussi, ainsi que nous l'a révélé le philosophe Gaston Bachelard :
La force du grand bénitier, écrit-il, va de pair avec la grandeur et la force de ses murailles. Il faut, dit un auteur, atteler deux chevaux à chaque valve pour obliger le grand bénitier à bailler malgré lui. (La Poétique de l'espace p.119)
Mais bien plus puissante encore est l'action de l'eau bénite à qui sa coquille peut servir de bassin, car elle est sanctifiée par la prière de toute l'Eglise et, comme l'écrivait sainte Thérèse d'Avila, en exprimant ce qu'elle ressentait à son contact : il ne s'agissait pas pour elle d'idées imaginées, mais d'une joie qui se répandait dans toute son âme et la fortifiait.
C'est pourquoi il ne faut pas considérer le bénitier de chevet comme un simple objet folklorique. N'oublions pas, d'ailleurs que le folklore c'est le savoir du peuple et que le peuple d'hier, c'est-à-dire nos aïeux savaient s'élever chaque jour vers Dieu, en partie grâce à cette eau bénite par l'Eglise que le bénitier leur offrait dans la chaleur de la maison familiale.