Comme toutes les branches de la religion tibétaine, le Bön dispose d’un panthéon impressionnant. Chaque cycle rituel a son ensemble de déités, toutes théoriquement émanations de l'unique tathagarbha. Elles sont classées selon deux principes.
L’un, plus spécifique au Bonpo, distingue entre les divinités "illuminées" hors de ce monde et les "non-illuminées" actives en ce monde. Il refléterait une conception dualiste de l’univers comme lieu de conflit entre forces lumineuses et obscures, que l’on entrevoit dans les textes les plus anciens, désormais remplacée par la conception bouddhique du dépassement des oppositions. L’autre classification distingue les formes divines paisibles (zhi-ba), courroucées (khro-bo) et féroces (phur-pa). D'autre part, lors des rituels "pratiques" (mariages, guérisons etc.), les ngakpa peuvent aussi faire appel aux trois mondes (ciel lha, terre nyen, eaux souterraines lu) possédant chacun leurs divinités.
Les bouddhas sont bien sûr présents, apparaissant parfois en groupe de mille. Comme toutes les branches du bouddhisme, le Bön reconnait l’existence des bouddhas des trois âges (passé, présent, futur). Il existe également une multitude de divinités mineures, dieux de la nature, démons etc.
Les quatre déités paisibles principales, ou quatre êtres transcendants, sont :
Kuntu Zangpo (Kun-tu bzang-po –Samantabhadra), bouddha primordial ; il est bonku (bon-sku), équivalent du dharmakaya ;
Shenlha Odkar (gShen-lha 'od- dkar), "lumière blanche des prêtres" ; il est zogku (rdzogs-sku), équvalent du sambhogakâya et règne sur les trois mondes ;.
Tonpa Shenrab est tulku (sprul-sku) ou tonpa, "professeur", équvalent au nirmanakâya ; il est maître de notre age ;
Satrig Ersang (Sa-trig er-sangs), encore appelée Jamma (Byams-ma), "mère aimante", forme féminine ;
Les principales déités gardiennes (bKa-skyong) sont :
Sidpa Gyalmo (Srid-pa'i Gyal-mo), gardienne des enseignements bonpo ;
Midu ou Midud Jampa Trago (Mi-bdud 'byams-pa khrag-mgo), gardien du monastère de Menri ;
Tsangod Hurpa (bTsan-rgod hur-pa) ;
Selon la tradition, les premières écritures Bön furent apportées au Zhang Zhung par six disciples de Mucho Demdrung, successeur de Tonpa Shenrab. Elles furent traduites en langue locale, puis en tibétain, langue dans laquelle est rédigé le canon Bön tel que nous le connaissons actuellement. Le vocabulaire est celui du bouddhisme tantrique, à l'exception du terme yungdrung qui y remplace dordjé (vajra) et de bôn qui prend la place de tchô (dharma). Néanmoins, plusieurs textes, spécialement les plus anciens, gardent des traces de langue Zhang Zhung dans leur titre et certains passages.
Jusqu’au VIIe siècle, Zhang Zhung resta un État indépendant situé au Tibet occidental, à l’ouest des provinces U et Tsang, s’étendant semble-t-il depuis Gilgit à l’ouest au lac Namtso à l’est, et de Khotan au nord au Mustang au sud. Sa capitale était Khyunglung Ngulkhar (Palais d’Argent de la vallée Garunda) ; on pense en avoit découvert les ruines dans la haute vallée Sutlej, au sud-ouest du Mont Kailash (Himachal Pradesh). La langue Zhang Zhung est classée dans le groupe tibéto-birman des langues sino-tibétaines.
Au VIIe siècle, le dernier roi, Ligmirgy, fut assassiné par le roi Songtsen Gampo. Le Zhang Zhung devint alors partie intégrante du Tibet ; il fut peu à peu tibétanisé et sa culture philosophique et religieuse imprégna celle du pays vainqueur.
Suivant l’intérêt croissant pour le bouddhisme, marqué par la création du monastère de Samye en 779 et son établissement comme religion d’État à la fin du VIIIe siècle, le Bön fit l’objet de persécutions et de tentatives d’éradication, pour des raisons plus souvent politiques que religieuses. Néanmoins, ses adhérents, aussi bien dans la noblesse que dans le peuple, s’accrochèrent à leurs convictions et il survécut, aidé probablement par une crise de la royauté tibétaine en 842. Elle lui permit sans doute de se revigorer dans les régions excentrées où avaient fui au VIIIe siècle, période particulièrement difficile, beaucoup de prêtres bonpo. Ils auraient auparavant caché leurs écritures afin de les conserver pour les générations futures. Drenpa Namdak, l’une des plus grandes personnalités bonpo de cette époque, se convertit au bouddhisme dans le but de préserver et de transmettre en secret les enseignements au risque de sa vie ; il fut disciple de Padmasambhava. On peut encore citer Gyerpoung Nangzer Lopô et Tséwang Rigdzin.
Du VIIIe au XIe siècle, nous ne savons quasiment rien du développement du Bön. Sa renaissance sous forme monastique commença après la seconde transmission du boudhisme tantrique au Tibet suivant la venue du moine bengali Atisha et d'un disciple de Naropa. Des textes bonpo importants apparurent, « découverts » par Shenchen Luga (969-1035) en 1017, selon une tradition partagée par le Nyingmapa qui veut que les textes sacrés soient des redécouvertes d'écrits cachés par des sages anciens. Shenchen Luga était un descendant de Tonpa Shenrab, et sa famille est encore importante aujourd’hui au Tibet. Il eut un grand succès et confia la continuation des trois différentes traditions à trois de ses disciples. Le Bön réémergea en système religieux fortement structuré.
Les trois disciples de Shenchen Luga :
Au premier, Druchen Namkha Yungdrung, du clan Dru originaire de Drusha (Gilgit) au Tibet, fut confié l’enseignement de la cosmologie (Dzopu) et de la métaphysique (Gapa). Un de ses disciples fonda en 1072 le monastère de Yeru Wensaka, qui devint un grand centre d’apprentissage jusqu’en 1386 où il fut gravement endommagé par une inondation, puis abandonné. Par la suite, sa famille continua de soutenir le Bön jusqu’au dix-neuvième siècle, lorsque la réincarnation du Panchen Lama fut découverte pour la deuxième fois parmi ses membres (second Panchen Lama, né en 1663, et cinquième, né en 1854).
Le second, Zhuye Legpo, fut chargé de conserver les pratiques et enseignements du Dzogchen. Il fonda le monastère de Kyikhar Rizhing. Les descendants actuels de la famille Zhu vivent en Inde.
Le troisième, Paton Palchog, prit la responsabilité des enseignements tantriques. Les membres de la famille Pa migrèrent du Tsang au Kham où ils vivent aujourd’hui.
Par ailleurs, Menkhepa Palchen (né en 1052) du clan Meu fonda le monastère Zangry, qui devint aussi un centre d’études philosophiques. Ainsi, du XIe au XIVe siècle, le Bonpo posédait quatre importants centres d’étude, tous dans la province de Tsang.
Malgré la rivalité avec les lignées bouddhiques, les contacts demeuraient ; un département était réservé aux moines Bön dans les monastères gelugpa et sakyapa.
Au XIVe siècle apparut la branche du Nouveau Bön, presque identique au lamaïsme à quelques spécificités près, comme par exemple la déambulation autour des chortens qui se fait dans le sens trigonométrique. Bien implantée dans les régions orientales d’Amdo et de Kham, elle présente certaines différences avec la branche originelle Yungdrung, mais ses abbés reconnaissent comme tous les Bonpo la primauté du monastère de Menri, fondé en 1405 par le grand maître Nyame Serab Gyaltsen (1356-1415), dialecticien disciple du lama Rongtôn.
Au XIXe siècle, les contacts avec le bouddhisme se poursuivirent avec la participation de Shardza Tashi Gyaltsen (1859-1935) au mouvement Rimé et l’adoption de terma (textes sacrés « redécouverts ») bonpo par Jamgon Kongtrul dans sa collection du Rinchen gter-nidzod.
Le monastère de Yungdrung Ling fut fondé en 1834, suivi de près par celui de Kharna, tous deux sous la tutelle de Menri. Sous leur inspiration, beaucoup d’autres furent établis dans tout le pays (excepté la région centrale de U), spécialement au Kyungpo, Kham, Amdo, Gyarong et Hor. Au début du vingtième siècle il y avait 330 monastères Bön au Tibet. Les deux principaux, Menri et Yungdrung, furent détruits après 1959. Il y aurait aujourd’hui 264 établissements (monastères des deux sexes et ermitages). Les recensements effectués par l’administration chinoise indiquent 10% de pratiquants du Bön chez les Tibétains.
Le chef spirituel actuel est Lungtok Tenpai Nyima, 33e Abbé de Menri, rebâti à Dolanji dans l’Himachal Pradesh, sur le territoire supposé de l’ancien royaume de Zhang Zhung,