Suivre le sentier rouge
Etre indien est avant tout une démarche spirituelle. (.i.PEELMAN; 1991, p.150).
Dans son livre classique "The Mystic Warriors of the Plains" Thomas Mails considère que beaucoup d'aspects de la vie indienne ont été étudiés sauf le plus important d'entre eux : "leur superbe processus de préparation mentale à la vie, et la manière dont ce processus affectait et embellissait tout ce qu'ils faisaient" (.i.MAILS;, 1972, p.68).
Fondamentalement il s'agit d'une profonde observation de la nature et des anciens. Aujourd'hui encore, le mode traditionnel d'apprentissage reste d'écouter et d'observer. Voici quelques pensées tirées de ce mode de développement spirituel.
"Ce n'est pas sans raison que nous les humains, sommes bipèdes comme les oiseaux ; car vous voyez que les oiseaux quittent la terre avec leur ailes, et que nous les hommes, nous pouvons également quitter ce monde, non pas avec des ailes, mais dans l'esprit. Ceci vous aidera à comprendre en partie comment il se fait que nous regardons tous les êtres créés comme sacrés et importants : chaque chose possède une influence -wochanghi- qui peut nous être donnée et grâce à laquelle nous pouvons acquérir un peu plus de compréhension si nous sommes attentifs." (.i.ELAN NOIR;, 1992, p.86).
"Nous voyions la main du Grand esprit dans presque tout : le soleil, la lune, les arbres, le vent et les montagnes. parfois nous l'approchions à travers toutes ces choses.(...). Les indiens qui vivent près de la nature et du Maître de la nature ne vivent pas dans l'obscurité." (TATANGA MANI, in .i.MCLUHAN;, 1974, p.29).
"la Terre est votre Grand-Mère et Mère, et elle est sacrée. Chaque pas qui est fait sur elle devrait être comme une prière." (.i.ELAN NOIR;, 1992, p.31).
Tahca Ushte décrit ainsi le mode de formation des wicasa wakan (homme du mystère, saint homme) : "Le wicasa wakan tient à être seul. Il veut demeurer wicasa (homme) à l'écart de la foule et des affaires au jour le jour. Il se plaît à méditer, appuyé à un tronc d'arbre ou contre un rocher, sentant la terre bouger sous ses pieds, sentant au-dessus de lui la pesanteur du grand ciel enflammé. (...) Le wicasa wakan aime le silence ; il s'enveloppe en lui comme dans une couverture -un silence lourd, avec une voix semblable au tonnerre, qui l'entretient de nombreux sujets. Un tel homme se complaît en un lieu où l'on entend rien, que le bourdonnement des insectes. (...) Il écoute les voix des wama kaskan -celles de toutes les créatures animales de la surface de la terre. Il est à l'unisson avec elles. De tous les êtres vivants, une émanation incessante le gagne et il transmet cette force. Je ne peux dire d'où elle vient ni en quoi elle consiste mais il en est ainsi. Et je sais ce dont je parle." (.i.TAHCA HUSHTE;, 1977, p.173).
Auto-co-écoformation silencieuse plutôt qu'hétéroformation dogmatique et savante
Le silence dans l'éducation indienne, c'est aussi l'absence d'explication. Les Amérindiens répugnent à dire les choses pour ne pas les figer dans un point de vue qui voudrait les épuiser. Les idées sont plutôt suggérées indirectement par un symbole, une histoire, un acte. Elles sont recréées à chaque fois par celui qui les pense.
C'est peut-être à cause de cela que les indiens des plaines utilisent volontier le langage par signes même à l'intérieur du cercle tribal ou familliale; pour le plaisir de savourer une histoire ou un mythe.
Wilfried Pelletier de la nation Odawas est responsable de l'école indienne de Rochdale. Une bonne partie de son ouvrage "Le silence d'un cri" (!) évoque les questions d'éducation comparée. Les indiens n'imaginent pas qu'enseigner soit le fait de transmettre des idées, il s'agit plutôt de mettre en contact avec des influences spirituelles. Les Indiens ne donnent pas d'enseignements systématiques. Ainsi plutôt que de "faire la leçon" à un enfant qui ne se lave pas les pieds, on lui raconte l'histoire de ce héros dont les pieds refusèrent de le porter alors qu'il était poursuivi ; et qui ne put s'échapper qu'après avoir promis de prendre soin d'eux. "Le fait que nos parents n'interviennent pas s'explique par leur attitude même devant la vie. Ils n'enseignent pas comme les hommes blancs ; ils laissent les enfants prendre leur propres décisions; Les récits qu'ils nous racontent sont peut-être ce qui se rapproche le plus de l'enseignement structuré.». (.i.PELLETIER;, 1985, p.54).
"Cette attitude était étroitement reliée à la religion (...) L'un des principes moraux mis en pratique dans la collectivité était la non-ingérence. Personne ne s'immisçait dans les affaires des autres. (...) Observez un groupe d'Indiens : ils sont immobiles et ne prennent la parole qu'après avoir été présentés. S'ils participent à une séance de groupe, ils ont la même attitude. Ils s'assoient et écoutent ; ils parleront lorsqu'ils en auront la possibilité, mais jamais ils ne vous interrompront ni ne s'interposeront. La base même du système d'enseignement consistait donc à observer et à ressentir des impressions. Voilà comment les enfants faisaient leur apprentissage." (.i.PELLETIER;, 1985, p.49).
Ce silence intérieur constant imprègne évidement la langue. "Cette langue imagée où l'on ne vous dit que le début et la fin, où vous devez combler l'espace entre les deux et où on vous laisse éprouver les sentiments que vous désirez. (...) On ne fait que répondre aux questions que vous posez. C'est à vous d'aller chercher les renseignements qui vous intéressent. Nous perdons cette façon de voir à l'école." (.i.PELLETIER;, 1985, p.53).
La méthode d'enseignement indienne traditionnelle privilégie donc toujours l'autoformation sous forme de révélation personnelle. On n'enseigne pas en expliquant ou en donnant à l'autre le sens des choses que l'on perçoit (hétéroformation) parce que l'on ne confond pas le sens perçu et le sens de la chose. Au contraire lorsque les anciens enseignent, c'est plutôt par une mise en contact avec l'influence spirituelle (contenue dans le mythe, dans la nature ou dans le rite), là où chacun reçoit une information intérieure.
Dans son compte-rendu des rencontres entre prêtres et hommes-médecine Sioux Lakota, William Stolzman relate un exemple magnifique de cet état d'esprit. Suite aux interrogations répétées des prêtres concernant la position des esprits Lakota par rapport au Christ, les hommes-médecine finirent par répondre : "Si vous avez des questions à propos des esprits, vous devriez mettre en place une cérémonie et posez ces questions aux esprits eux-mêmes" (.i.STOLZMAN;,1992, p.125).
On retrouve cette même idée à l'origine de la tradition chrétienne. Dans sa première épître, saint Jean montre que la réception personnelle de l'Esprit Saint dans le baptême rend caduque toute forme d'enseignement sur la vérité entre les êtres humains. "Quant à vous, vous possédez l'onction qui vient du Saint, et vous êtes tous gens qui savez. Si je vous écris ce n'est pas que vous ne connaissiez pas la vérité ; c'est parce que vous la connaissez et vous savez qu'aucun mensonge ne procède de la vérité.(...) Pour vous l'onction que vous avez reçue de Lui demeure en vous, et vous n'avez besoin de l'enseignement de personne. Mais comme l'onction que vous avez reçue de Lui vous enseigne sur tout, qu'elle est véridique et qu'elle n'est pas mensonge, selon ses enseignements demeurez en lui" (1Ep. de Jean, 2-20 à 22 et 28).
La réticence à l'hétéroformation dans les modes d'éducation amérindienne n'est bien entendu pas une forme d'individualisme ou un refus des autres. Nous avons déjà vu combien la dimension communautaire est fondamentale. Il faudrait ici distinguer, comme le suggère Gaston Pineau, entre une hétéroformation qui s'oppose à l'autoformation et une co-formation qui en est le complément vital. Il n'est aucun rituel qui n'implique pas "les autres" et l'in-formation spirituelle reçue par chacun n'a de sens que dans l'épanouissement du cercle de la nation (.i.ELAN NOIR;, 1992).
Le silence dans l'organisation sociale
Le silence se manifeste donc aussi dans l'organisation sociale qui n'est ni verticale ni autoritaire : "je l'appellerais une «conscience collective». Ce type de société peut exister, fonctionner et résoudre tous ses problèmes sans signaux d'aucune sorte, tel un banc de poisson. Sans crier gare, vous les voyez qui changent de direction ; ils se déplacent ensemble. Voilà exactement la façon dont la plupart des collectivités indiennes fonctionnent." (.i.PELLETIER;, 1985, p.56).
Fondamentalement, l'éducation indienne est un apprentissage de la vie. Dans son dernier chapitre intitulé : "l'éducation pour la survie" Wilfried Pelletier insiste sur le fait que l'éducation a toujours existé, bien avant les écoles et les institutions éducatives, bien avant les livres même. L'éducation ce n'est pas les connaissances isolés qui se transmettent en classe, c'est le type de comportements et de valeurs qu'inculque le fonctionnement social global. "Dans la communauté qui m'a vu naître, les gens âgés sont nombreux à ne savoir toujours pas lire et écrire. Malgré tout, ils sont très instruits sur leur propre genre de vie et cela les assure de survivre. Ils ne sont pas uniquement une partie de la communauté, ils sont la communauté même. (...) C'est ce qui en fait des personnes entières qui partagent leurs relations et leurs dépendances avec toutes les autres. Il semble que le processus qui a créé cette sorte de communauté permettait l'exploration, c'est-à-dire qu'il permettait de faire ses propres découvertes, et qu'il se poursuivait jusqu'au terme de la vie. Ce processus a engendré une sorte d'être humain préoccupé d'écologie au lieu d'être préoccupé d'économie. Il m'est difficile de décrire exactement ici ce que je veux dire, quoique je pourrais peut-être dire qu'il s'agit d'un courant plutôt que d'un concept. J'ai aussi le sentiment que lorsque je ressens ce courant, il m'est impossible d'en parler. Je crois bien que ce que je veux vous dire, c'est qu'il s'agit d'un sentiment et je ne sais pas si vous comprenez cela. Ce n'est pas comme se fixer un but dans la vie mais bien de ressentir quelque chose tout au long de sa vie et nos cérémonies comptent pour beaucoup dans ce processus. C'est une chose qui nous est donnée gratuitement quand nous partageons un sentiment d'appartenance qui crée une communauté." (.i.PELLETIER;, 1985, p.97).
La réalité de la vie amérindienne se laisse difficilement découper. Il est impossible de parler d'éducation sans parler de l'organisation sociale et des rapports à l'environnement. Autrement dit les Indiens se situent dans une perspective de formation globale qui se fonde sur les rapport entre soi, les autres et le monde.
Dans cette perspective, le silence apparaît comme le fondement de tous les échanges.
Le silence est tout à la fois :
- la manifestation dû respect du aux autres êtres vivants,
- la condition de réceptivité et d'attention aux signes du mondes spirituel,
- la disponibilité au mystère de la vie.[img][/img][img][/img][img][/img]