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 La collaboration inédite entre la neuroscience et le bouddhisme

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MessageSujet: La collaboration inédite entre la neuroscience et le bouddhisme   La collaboration inédite entre la neuroscience et le bouddhisme Icon_minitimeLun 12 Avr - 7:39


La collaboration inédite entre la neuroscience et le bouddhisme Everes10

Transformer l'émotion
Le «point neutre » du bonheur mis en cause
- Dans les montagnes -



(Source : "Entrainer votre esprit, transformer votre cerveau" par Sharon Begley avec la collaboration inédite entre la neuroscience et le bouddhisme)

Comment la science de pointe révèle le potentiel extraordinaire de la neuroplasticité !

C'était par un matin sublime de la fin septembre, l'époque de l'année la plus magnifique à Dharamsala. La mousson s'essouffle un peu et les montagnes sont tapissées d'une verdeur d'émeraude. Les Occidentaux, trois neuroscientifiques et un érudit bouddhiste, avaient pesamment fait le trajet depuis leurs chambres au Kashmir Cottage, une auberge appartenant au frère benjamin du dalaï-lama, chargés de tonnes d'équipements scientifiques — ordinateurs portables, piles, électroencéphalographes, batteries au plomb, générateur au gaz et 60 mètres de rallonges — qu'ils prévoyaient emporter dans les montagnes, là où quelques-uns des adeptes les plus experts en méditation passent des mois, voire des années en retraite. Les chercheurs avaient espoir d'entreprendre la première étude détaillée des effets sur le cerveau produits par la pratique de la méditation intensive et à long terme — « long terme » ici se chiffre à au-delà de dix mille heures de méditation. Et pour y parvenir, il leur faudrait persuader quelques-uns des anachorètes moines et lamas vivant dans des huttes de pierre de faire don de leur esprit à la science.

Au printemps de 1992, les scientifiques avaient proposé par écrit au dalaï-lama de mesurer si et comment des milliers d'heures de méditation modifient les schémas d'activité du cerveau. Il ne s'agissait pas de décrire les altérations cérébrales qui surviennent au cours de la méditation. Puisque cette occupation relève du domaine de l'esprit, il va sans dire

qu'elle se caractérise forcément par des schémas d'activité cérébrale spécifique. Car tout ce que fait le cerveau — méditer, diffuser des signaux « Bouge ! », songer aux éléphants roses — produit des schémas d'activité distinctifs et potentiellement discernables. La méditation aurait naturelle_ ment un corrélat neural. Les scientifiques étaient plutôt intéressés à voir si la forme d'entraînement mental qu'est la méditation bouddhiste tibétaine produit des transformations durables dans le cerveau. Ils cherchaient à définir non pas des états mentaux, l'activité qui accompagne la méditation, mais des traits mentaux, des habitudes de penser et de sentir manifestes lorsque le cerveau n'est pas en méditation ; ces traits mentaux témoigne_ raient sans doute d'un changement physique ou fonctionnel permanent dans la circuiterie du cerveau, plutôt qu'un éclat fugace d'effervescence.

La proposition éveilla la curiosité du dalaï-lama. Non seulement celle-ci touchait son intérêt croissant pour la science, mais elle semblait logique du point de vue de la doctrine bouddhiste, qui affirme que l'entraînement mental produit des transformations de l'esprit perceptibles même dans le quotidien. «Je sentais très profondément (et je le sens toujours) qu'appliquer la science pour comprendre la conscience des contemplatifs est de la plus haute importance. J'ai mis de grands efforts à persuader les ermites de consentir aux expériences, » évoque-t-il plus d'une décennie plus tard. «Je leur ai souligné qu'ils devraient subir les expérimentations par altruisme ; si l'on démontre scientifiquement les effets bénéfiques découlant de calmer l'esprit et de cultiver des états mentaux sains, il y aurait peut-être d'heureux résultats pour les autres. J'espère seulement ne m'être pas montré trop autoritaire. »

Sur les soixante-sept anachorètes, yogis, lamas et moines qui vivaient alors dans les hauteurs entourant Dharamsala, un petit nombre se porta volontaire pour coopérer avec ces hommes bizarres et leurs appareils encore plus étranges, même s'ils s'étaient voués à une solitude à vie et que, pour la plupart, ils n'en voyaient pas l'utilité. A leur avis, le meilleur instrument pour investiguer l'esprit, c'est l'esprit, pas les boîtes clignotantes et autres bidules que les scientifiques traînaient derrière eux. Parmi ces volontaires, le dalaï-lama sélectionna dix méditants plus avancés.
Par comparaison, les scientifiques étudieraient également des Tibétains ordinaires à Dharamsala, dont bon nombre avaient fui le Tibet peu après l'échappée du dalaï-lama en 1959.

L'Occident considère généralement la méditation comme un moyen de réduire le stress. Quelques formes le sont effectivement. Pour le bouddhisme néanmoins, la méditation constitue un programme rigoureux d’entraînement mental, où l'esprit s'observe lui-même. Grâce à l'introspection et à d'autres techniques, l'esprit tente de s'affranchir de tendances perturbatrices, comme la haine et la jalousie, et d'acquérir des propension saines, comme l'attention ou la compassion.
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MessageSujet: suite 1   La collaboration inédite entre la neuroscience et le bouddhisme Icon_minitimeLun 12 Avr - 7:44


La collaboration inédite entre la neuroscience et le bouddhisme Moine-10
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(Source : "Entrainer votre esprit, transformer votre cerveau" par Sharon Begley avec la collaboration inédite entre la neuroscience et le bouddhisme)

Comment la science de pointe révèle le potentiel extraordinaire de la neuroplasticité !

Suite ...

Quelques adeptes recommandés par le dalaï-lama se consacrent au Shamatha, un terme sanscrit rendu par « quiétude méditative ». L'objectif la pratique de Shamatha, c'est d'apaiser la cacophonie qui embrouille l’esprit qui n'est pas entraîné, esprit qui passe d'une perception visuelle à impression auditive, d'une pensée à l'autre, comme une libellule hyperactive. Grâce à Shamatha, on remplace graduellement cette hyperactivité par une attention stable et claire.

Selon la doctrine bouddhiste, ces deux qualités de l'attention permettent au pratiquant de voir directement la nature de l'esprit et de pénétrer l’expérience humaine. Pour y parvenir, les yogis développent la relaxation mentale et physique, de laquelle découle la stabilité d'attention. Celle-ci met à l'esprit de se concentrer sur un objet du monde extérieur, sur e pensée ou sur une sensation générée dans l'esprit même, des éléments mentaux qui, chez les êtres moins compétents à l'entraînement attentionnel, ont tendance à s'évanouir comme la vague sur le sable. Un prit formé par Shamatha parvient à vaincre la distraction et éprouve la , la tranquillité.
La clarté attentionnelle, qui découle de la stabilité d'attention, c'est la capacité de se concentrer sur l'objet choisi avec vivacité et force détails ; l'esprit n'est plus émoussé par l'ennui ou agité par le grouillement mental qui caractérise l'esprit non entraîné.

Les adeptes consommés de la méditation prétendent pouvoir se focaliser de manière continue sur un objet précis pendant des heures et maintenir une image mentale complexe — d'une peinture très détaillée, par exemple — avec une telle vivacité qu'ils peuvent voir mentalement la fioriture dans le coin droit, le bébé singe à gauche du centre ou tout autre élément. Le dogme scientifique en Occident affirme pourtant qu'une telle prouesse est biologiquement impossible. Les manuels de neurologie affirment que le cerveau humain est incapable de maintenir ce type de concentration pendant plus que quelques secondes avant de se dissiper en un brouillard de distraction. Et l'on estime au-delà de la capacité de la plupart des cerveaux cette clarté mentale requise pour percevoir les milliers d'infimes détails dans une visualisation complexe. Les exceptions, comme les musiciens capables de zoomer sur quelques mesures n'importe où dans une symphonie ou les ingénieurs électriques sachant maintenir la représentation mentale de milliers de connexions et de transistors dans un microprocesseur, relèvent de l'expertise et probablement, de l'entraînement mental. C'était le potentiel de l'entraînement mental de forme contemplative qui intéressait les scientifiques occidentaux qui gravissaient les sommets de Dharamsala.

Mystérieusement, les effets de l'entraînement mental demeurent largement ignorés. Même s'il n'existe pas moins de 1,200 études sur la méditation, d'après les scientifiques qui ont passé en revue les recherches jusqu'en 1931, nul schéma systématique n'est apparu'. Néanmoins, la plupart de ces études abordaient une diversité de techniques méditatives, comme s'il s'agissait de variations sur un même thème, alors qu'elles sont carrément différentes. Chercher les effets sur le cerveau dans ce salmigondis baptisé « méditation » était à peu près aussi productif que chercher les effets de « penser ». Il y avait toutefois lieu d'espérer qu'en s'orientant sur les pratiques méditatives spécifiques au bouddhisme tibétain, avec les adeptes recommandés par le dalaï-lama, les hommes de science découvriraient les répercussions précises de la méditation (ou plus généralement, celles de l'entraînement mental) sur la fonction cérébrale.

Parmi ceux-ci se trouvait Cliff Saron, désormais neuroscientifique de l'université de Californie à Davis, au Centre de l'esprit et du cerveau. Francisco Varela, cofondateur de l'Institut Mind and Life, espérait que les tables rondes annuelles entre le dalaï-lama et les scientifiques que cet institut commanditait donneraient naissance à une collaboration concrète en recherche. Richard J. Davidson, qui allait se joindre aux dialogues Mind and Life en 1994, s'apprêtait à faire des découvertes fécondes sur les schémas d'activité cérébrale correspondant au bonheur et à la dépression. Alan Wallace devait conduire les scientifiques vers les huttes des lamas, car en 1980, il avait lui-même passé cinq moins à méditer dans ces hauteurs, après avoir étudié le bouddhisme tibétain pendant dix ans en Inde et en Suisse. Wallace était devenu disciple du dalaï-lama vers le début des années 1970 et avait reçu de lui l'ordination monastique en 1975. Quatre s plus tard, le dalaï-lama lui avait demandé d'être son interprète lors de a tournée européenne de conférences, un rôle que Wallace a continué de enir lors des rencontres de Mind and Life.


Lors de cette première expédition, les scientifiques avaient des objectifs modestes. Ils ne souhaitaient que prendre contact avec les yogis, écrire les visées de leur recherche et les familiariser avec la méthodologie et la technologie de l'expérimentation. Wallace, dont plusieurs yogis e souvenaient en raison des mois qu'il avait passé parmi eux, traduisait es propos des scientifiques en tibétain, et les questions et réactions des yogis vers l'anglais.
«Nous avons parlé à chacun d'eux durant deux à trois heures, » se souvient Cliff Saron.
«Nous nous sommes présentés, leur avons expliqué l'histoire du projet et précisé que lors de ce premier contact, nous ne souhaitions que nouer des liens avec eux, nous familiariser avec leurs pratiques et leur écrire les expériences que nous espérions effectuer. » Celles-ci comportaient des classiques de la psychologie comme le test de Scoop, où un mot référant à une couleur est inscrit à l'encre d'une autre couleur. On trace le mot rouge à l'encre verte, par exemple, et il faut le lire sans se laisser distraire par cette teinte. Il s'agit d'une épreuve de concentration, de l'aptitude à exclure la distraction. Les expérimentations feraient aussi appel au test de Posner, dans lequel on regarde un écran où une flèche pointe par exemple vers la gauche. Quand une petite boîte, la cible, apparaît sur l'écran, il faut appuyer sur un bouton, ce que la flèche est censée vous permettre de faire plus rapidement si elle pointe vers l'endroit où apparaît la cible, mais qui vous ralentit si la cible apparaît ailleurs. Le test de Posner évalue aussi l'attention, notamment l'aptitude de rester concentré sur la petite flèche assommante.

Heureusement, les scientifiques n'avaient pas d'attentes trop démesurées. Le premier matin, le quatuor se présenta à la hutte du moine A (les moines souhaitaient préserver l'anonymat), la soixantaine et de santé précaire, c'était l'un des anachorètes les plus chevronnés sur la liste des dix. Quand cependant les savants demandèrent à enregistrer la conversation, il rechigna. «Il croyait avoir atteint seulement les réalisations minimales en cette vie, surtout à cause de troubles de la vésicule biliaire, » évoque Saron. « Il ne voulait pas que les mauvaises informations qu'il nous transmettrait puissent être disséminées. A son avis, si nous voulions connaître les effets de la méditation, nous devrions nous y consacrer nous-mêmes. » Les scientifiques avaient oublié de prendre en compte l'humilité sur laquelle repose le bouddhisme tibétain : offrir un compte-rendu candide de ses expériences méditatives et de ses révélations va à l'encontre de 2,500 ans de tradition bouddhiste, qui dissuade ses adeptes de divulguer leurs réalisations spirituelles ou mentales.
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MessageSujet: Suite 2   La collaboration inédite entre la neuroscience et le bouddhisme Icon_minitimeLun 12 Avr - 7:56


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Les savants n'eurent pas plus de chance avec le moine B, l'un des maîtres de Shamatha d'Alan Wallace, âgé d'une cinquantaine d'années. Avec lui, l'écueil qui allait entraver leur étude se manifesta. Cordial mais sceptique, moine B raconta comment, plusieurs années auparavant, un scientifique de l'école de médecine de Harvard, pionnier des recherches sur la médecine corps-esprit, avait recruté un éminent yogi, Lobsang Tenzin, dans ces mêmes hauteurs isolées. Assurant le yogi qu'aucune procédure agressive ne serait entreprise et notamment, qu'aucune drogue ou autre substance ne lui serait administrée, les chercheurs de Harvard obtinrent le consentement du yogi ; il se rendrait à Boston pour subir des tests. Néanmoins, entre autres transgressions à leur parole, les scientifiques lui tirèrent du sang. Trois mois après son retour à Dharamsala, Lobsang Tenzin mourut. Inutile de dire, la tragédie troubla profondément les autres yogis. Lobsang Tenzin « avait grandement souffert de cette expérimentation, » souligna le moine B à l'intention de ces nouveaux savants.

Leur visite vira à un débat de trois heures sur l'intérêt d'appliquer la science à l'étude de l'esprit. Comment l'esprit, qui est sans forme et immatériel, peut-il être mesuré physiquement ? s'enquit moine B. Et par le fait même, quelle importance aurait donc quelque corrélat physique de l'esprit, tel que l'établiraient les appareils d'EEG ou autres bidules que les scientifiques traînaient à leur suite ? Et puisqu'il existe de grands écarts dans les accomplissements de yogis individuels, des résultats médiocres ne nuiraient-ils pas au prestige du bouddhisme tibétain en Occident ? Il avait eu de mauvais rêves sur le fait de servir de sujet, poursuivit le moine B ; il ne voulait même pas jeter un coup d'oeil aux expériences affichées sur l'ordinateur portable d'un scientifique. «Nous sommes repartis, complètement découragés, en songeant "Si un allié potentiel affiche tous ces doutes, pourrions-nous jamais trouver un nombre suffisant de participants pour l'étude ?"» évoque Saron.

Et ainsi de suite. Un autre moine de cinquante-neuf ans, même s'il fut ravi d'entendre qu'Alan Wallace avait reçu une formation monastique, ne voulait rien savoir de l'étude, précisant qu'il souhaitait simplement qu'on le laisse à sa méditation. (Il encouragea toutefois les scientifiques à s’y livrer, leur conseillant de répéter à plusieurs milliers de reprises un mantra susceptible, fort heureusement, de provoquer la pousse de nouvelles dents, et de prier le dalaï-lama pour la réussite de leur projet). Un autre moine de cinquante et un ans croyait pouvoir atteindre en deux ans Shamatha, l'aptitude de poser l'esprit sans effort sur un objet avec clarté et stabilité. Il suggéra que les savants reviennent alors.

Avec chaque rejet, il devenait évident que les yogis étaient fortement préoccupés. Ils craignaient que les tests ne nuisent à leur pratique méditative. C'était pourtant là le moindre de leurs soucis. La dissimilitude des attentes signa probablement l'arrêt de mort du projet. Les scientifiques aient pour prémisse que les technologies standards pourraient capturer fonctionnement du cerveau des yogis pendant la méditation et les effets
urologiques de milliers d'heures de méditation, le tout sous forme de mesures physiques. « Notre perspective matérialiste, réductionniste,
sait un problème pour plusieurs d'entre eux, » dit Alan Wallace. «A leurs yeux, nous étions de véritables néanderthaliens. »

Lorsque les scientifiques montrèrent à quelques yogis le test de Stroop — où le nom d'une couleur est inscrit à l'encre d'une autre teinte —, S n'étaient pas trop impressionnés. « Ça leur paraissait comme une évidence, » se souvient Wallace.
« Pourquoi serait-on étonné de savoir qu'il faut plus de temps à lire le mot rouge écrit à l'encre verte que s'il n'était écrit en rouge ? "C'est ce que vous pouvez faire de mieux ?" s'enquéraient-ils. » A la vue du test de Stroop, un moine supposait qu'il évaluait uniquement l'intelligence, but fort éloigné des nobles visées de l'entraînement mental tibétain, avec son accent sur la compassion à l'endroit de tous les êtres vivants. Les yogis n’étaient pas plus épatés par l'idée de mesurer les ondes cérébrales, se souvient Wallace : « Ils pensaient, "Qu'est-ce que vous évaluez de toute manière, puisque vous ne connaissez pas le corrélat sur EEG pour la même passion ou l'amour bienveillant ou quoi que ce soit d'autre ?" »

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Le test de Posner sur l'attention visuelle n'obtint pas davantage l'approbation des yogis. D'habitude, si une cible apparaît sur un écran là où pointe la flèche, vous la repérez et réagissez plus rapidement que si elle apparaît ailleurs, mais seulement si la cible apparaît moins d'une demi - seconde après la flèche. Si l'intervalle est plus long, l'attention vagabonde et la personne ne peut profiter de la direction où pointe la flèche. Les scientifiques se demandèrent si l'entraînement mental des lamas aurait amélioré leur concentration visuelle à tel point que la flèche leur indiquerait la localisation de la cible, même si un temps plus long s'était écoulé.

Le problème, c'était que lorsque la cible apparaissait ailleurs que là où la flèche pointait — ce qui est censé inciter la personne douée d'une bonne capacité d'attention à mettre plus de temps à repérer la cible que s'il n'y avait pas eu d'indice, car son attention est orientée vers l'endroit qu'indique la flèche — les yogis étaient déroutés. Pourquoi nous mentir ? Vous aviez dit que le signal allait indiquer l'endroit où se trouve la cible ? interrogèrent-ils.

Non, analyser les effets de l'entraînement mental sur l'esprit et le cerveau n'allait pas être tâche facile.

Les divergences culturelles s'interposèrent à leur tour. Les savants avaient en l'occurrence choisi un vaste paysage de dunes violacées baigné de soleil comme image censée éveiller le contentement; ils allaient en mesurer le corrélat neural. Mais l'image rendit triste, pas satisfait, le yogi qui avait consenti à subir ce test : il imagina la souffrance d'une personne forcée à traverser un tel paysage sous le soleil ardent. L'image d'un adorable bébé lapin produisit aussi l'effet inverse. Au lieu de combler le yogi d'un sentiment heureux, elle l'incita à s'interroger anxieusement sur qui pourrait protéger des prédateurs un animal si vulnérable.

Pour finir, les scientifiques ne tirèrent aucune donnée utilisable pendant leur séjour à Dharamsala. Ils réussirent néanmoins à persuader un yogi de se rendre à l'université du Wisconsin à Madison pour passer une semaine au labo de Richie Davidson. Là, on évalua son attention visuelle. Une tâche consistait à fixer l'image du Bouddha sur un écran d'ordinateur. L'image vacillait très brièvement à divers intervalles sur les trente à soixante minutes de l'épreuve. Le yogi devait appuyer sur un bouton chaque fois qu'il décelait un vacillement. Les cas témoins, qui s'ennuient à mourir, sont d'habitude incapables de maintenir une attention précise et, au fil des minutes, ils mettent de plus en plus de temps à enregistrer le vacillement. Par ailleurs, le temps de réaction du yogi diminua à peine, car son attention visuelle était excessivement intense. Les scientifiques avaient démontré que les années passées à entraîner l'attention améliorent le pouvoir de concentration.

C'était tout de même un début.

Projetons-nous au printemps 2001. Un après l'autre, les moines en robes bordeaux, lamas, maîtres, tous ces « experts » en méditation firent le périple vers le centre médical de l'université du Wisconsin à Madison. Une décennie avait complètement transformé la volonté des méditants de participer à des études évaluant les effets de l'entraînement mental sur le cerveau, essentiellement grâce à une rencontre fortuite. La conférence de 2000 du Mind and Life à Dharamsala avait pour thème les émotions destructrices ; le dalaï-lama avait bombardé Davidson de questions au sujet de ses procédures de recherche — comment fonctionne le IRMF, qu'est-ce que mesure le EEG. « Pourquoi ne pas venir constater par vous-même ? » proposa Davidson.

En mai 2001, dans le labo de Davidson, le dalaï-lama scrutait l'intérieur du tube de PIRNIF, gros comme une citerne ; l'appareil décèle les zones d'activité accrue et localise ces points chauds à un millimètre près. Il examina un électro-encéphalogramme qui mesure les ondes cérébrales jusqu'aux altérations qui surviennent sur un millième de seconde. Ayant silencieusement assimilé l'information, il avait posé la question aux savants : les appareils peuvent-ils déterminer si la pensée survient avant que des changements ne se produisent dans le cerveau ? L'esprit ou la conscience précèdent-ils l'activité électrique et chimique ? Dans l'affirmative, alors une conclusion incontournable s'imposait : l'esprit agit sur le cerveau, ce n'est pas uniquement le cerveau qui donne naissance à l'esprit.

Ces interrogations se faisaient l'écho d'une question posée par le dalaï-lama au neurochirurgien après avoir observé l'opération sur le cerveau. Contrairement au neurochirurgien toutefois, les scientifiques de Madison ne la repoussèrent pas. Ils réfléchirent sérieusement à la possibilité d'une flèche causale à deux sens, l'esprit étant à la fois l'expression et la cause des altérations physiques dans le cerveau.

Outre le fait d'instiguer cette ligne de recherche, le dalaï-lama offrit un concours pratique. Il pria des pratiquants chevronnés qui s'entraînaient dans la tradition tibétaine depuis quinze à quarante ans de participer aux expérimentations de Davidson. Ils s'allongeaient dans le tube bruyant de l'IRMF, parfaitement immobiles, des électrodes couvrant leur cuir chevelu, et généraient par intermittence leurs états méditatifs, comme on allume et l'on éteint une ampoule électrique. Davidson fit aussi savoir qu'il cherchait des contemplatifs bouddhistes, les personnages qu'il a baptisés « athlètes olympiques » de la méditation. Matthieu Ricard, le moine bouddhiste français du monastère de Zhechen à Katmandou, au Népal, détenteur d'un doctorat en génétique, fut à la fois investigateur et sujet de ces expériences ; il contribua à les planifier et se soumit lui-même aux tests.

Tous les adeptes bouddhistes qui allaient prêter leur cerveau aux neurosciences s'étaient adonnés à la méditation pendant au minimum dix mille heures. L'un d'entre eux avait même accumulé cinquante mille heures. Tous avaient accompli au moins une retraite de trois ans, lors de laquelle ils s'étaient exilés de la société et avaient passé la presque totalité de leurs heures de veille en méditation. Pour la plupart, les contemplatifs firent un détour par Madison lorsqu'ils se trouvaient aux États-Unis, d'habitude en tournée de conférences. Cela eut pour effet de ralentir le rythme. Des semaines s'écoulaient avant que le moine suivant fasse son apparition. Au fil du temps cependant, Davidson élabora méthodiquement une base de données unique : des enregistrements d'ondes cérébrales et de schémas d'activation cérébrale des adeptes de longue date de la méditation bouddhiste. «Je ne crois pas que tout ce travail aurait été réalisé si ce n'était de votre encouragement direct, » dit Davidson au dalaï-lama, en commençant son compte-rendu à la rencontre de 2004 à Dharamsala. « Pour cela, nous vous sommes tous très sincèrement reconnaissants. »
Et en raison notamment de ce qu'a démontré la recherche.

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L'université de Wisconsin - Madison est 17e du classement des meilleures universités du monde en 2009. Fondée en 1848, elle s'illustre par ses importantes activités de recherche dont le budget s'élèvait à 170 millions d'euros en 2007. Un tiers est alloué à la recherche médicale avec plusieurs instituts spécialisés dans les traitements des problèmes cardiovasculaires, de cancer ou encore des recherches sur la neuroscience. C'est ici que le chercheur James Thomson a isolé en 1998 les premières cellules souches embryonnaires. Côté enseignement, l'université compte vingt écoles et instituts qui offrent des formations diverses : études d'ingénieur, droit, arts etc
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