Soupçonné d'avoir vidé des tombes et déversé les ossements dans une carrière, un entrepreneur de pompes funèbres comparaît mardi devant le tribunal correctionnel de Bergerac.
Après avoir stupéfait la population, l'«affaire des ossements» est portée aujourd'hui devant la justice. Mardi après-midi, Patrice Pauly, un entrepreneur de pompes funèbres familiales, comparaît devant le tribunal correctionnel de Bergerac pour «violation de sépultures par manquement à la dignité due aux défunts».
Après la découverte de restes humains mêlés à des bris de cercueils et des déchets ménagers dans une carrière dont il est locataire, cet entrepreneur d'Eymet et de Bergerac (Dordogne) est accusé d'avoir procédé à des excavations sans avoir effectué le tri des ossements pour les transférer à l'ossuaire, comme l'exige la réglementation.
- Cimetière de Bergerac -
«Il faut envoyer la purée»C'est une vidéo amateur d'un promeneur qui, le 6 mai dernier, met au jour le scandale. Boites crâniennes, tibias, fémurs, sacs poubelle, morceaux de tissu et cercueils éventrés se chevauchent en de sordides tas de terre fraîchement retournée. Après son signalement aux gendarmes, vidéo à l'appui, le parquet ouvre une enquête.
Si les poursuites se limitent au mois qui vient de s'écouler, l'enquête montre que cette pratique illégale semble présenter une récurrence et remonter à plusieurs années. Elle détermine aussi, avec l'existence de 32 tas de terre représentant 250 m3, que les faits concerneraient plusieurs cimetières. «Entre la vidéo tournée début mai et nos investigations, d'autres dépôts macabres ont eu lieu», avait indiqué le procureur de la République, Jean-Luc Gadaud. Le magistrat s'est particulièrement ému de la phrase d'un des employés de l'entreprise Pauly, entendu à titre de témoin: «Lorsque nous faisons un caveau neuf, nous ne faisons pas dans la dentelle. Il faut envoyer la purée. Nous n'avons pas de consignes de tri.»
Les excavations sont des pratiques courantes qui interviennent au terme des concessions, ou quand celles-ci sont abandonnées, pour mettre d'autres sépultures à la place. Ce sont les services municipaux qui autorisent la revente des concessions et délivrent les actes qui permettront aux opérateurs funéraires de «vider» la tombe. «Les parties en bois partent à l'incinération alors que les ossements passent dans un tamis, expliquent les services d'une mairie de la région. Les micro fragments ne sont pas soumis au tri, ils peuvent être jetés mais le reste, comme les crânes, sont concassés, mis dans une poche étiquetée avec l'identité du défunt et sous scellés avant de rejoindre l'ossuaire du cimetière».
- Cimetière de Bergerac -
De la couleur des osUne manipulation qui prend du temps et que certaines pompes funèbres éclipseraient pour en gagner, précisément. «C'est qu'il y en a beaucoup!, souligne la mairie de Bergerac qui, avec ses 5 cimetières et ses 30.000 habitants, recense 200 exhumations par an. Ramenés aux jours travaillés, cela fait une exhumation par jour». Surtout, c'est le manque de moyens humains qui favoriserait cette pratique illégale. «Les procédures dans ce domaine sont hyper réglementées mais encore faut-il des gardiens pour les faire respecter et en surveiller l'exécution, dit le chef de cabinet du maire de Bergerac. Si les grandes agglomérations n'ont pas de problèmes, il n'en va pas de même pour les petites communes. Rares sont celles qui ont de quoi payer un gardien pour qu'il soit présent à chaque opération ou pour vérifier que la concession “nettoyée” est bien la bonne.»
Aujourd'hui, Patrice Pauly se défend d'avoir commis ce délit. «Jouissant d'une honorabilité sans tâche», «du soutien des autorités locales et de la population qui connaissent la qualité de son travail», défend son avocat, Me Jacques Storelli, l'entrepreneur demande des analyses complémentaires sur les ossements pour déterminer leur provenance. «La justice doit déterminer le lien de causalité entre ce que montre la vidéo et la réalité connue de mon client. Les terres excédentaires qu'il dépose dans cette carrière ne contiennent que de petits fragments anciens, or la vidéo fait état d'ossements conséquents. Il apparaît en outre qu'ils ne proviennent pas des terres car ils seraient oxydés mais, vu leur couleur blanche, qu'ils ont été nettoyés et déposés.»
Droit d'exhumation
Manipulation, malveillance, jalousie, concurrence… L'avocat n'est pas loin d'évoquer le complot. «La main de l'homme est passée par là, c'est sûr, dit-il, mais est-ce celle de la société Pauly, alors que n'importe qui passe dans cette carrière non gardée?».
Patrice Pauly encourt une peine d'un an d'emprisonnement et une amende de 15.000 euros. Sous contrôle judiciaire, l'entrepreneur, qui emploie 23 salariés, s'est vu retirer par la préfecture son droit d'exhumation jusqu'à mardi, date de sa comparution, mais pas d'inhumation ou de crémation. Il est même toujours en lice pour co-gérer le futur crématorium de Bergerac où une charte déontologique et un comité d'éthique ont été mis en place.
Au terme d'une nuit de garde à vue, Patrice Pauly est ressorti libre du tribunal de Bergerac. Mais avec un contrôle judiciaire qui lui interdit d'exercer sa profession d'entrepreneur de pompes funèbres. Son père devrait gérer l'entreprise qui compte 27 employés jusqu'au 10 juillet, date fixée pour la comparution de Patrice Pauly devant le tribunal correctionnel où il sera jugé pour manquement à la dignité due aux défunts. Mais l'activité des pompes funèbres est liée à un arrêté préfectoral, et peut être suspendue par décision administrative, indépendamment de l'enquête et de l'issue judiciaires.
Source : AFP - Figaro