Il y a exactement dix ans, dans la revue "La Recherche", une enquête de deux chercheurs sur la vogue des parasciences parvenait à la conclusion suivante: c'est chez les catholiques pratiquants convaincus, d'une part, chez les athées déclarés, de l'autre, que ces croyances sont le moins répandues. Elles sont plus florissantes, au contraire, dans le vaste marais situé entre ces deux minorités: chez les croyants non pratiquants ou, a fortiori, chez les non-croyants non pratiquants. Ainsi, à mesure que recule l'emprise de l'Eglise catholique et, en général, des grandes confessions historiques qui ont structuré le paysage religieux de nos sociétés occidentales, les "croyances floues", les croyances dissidentes, éclatées, démultipliées à l'infini, les religions de l'individu ou des groupes restreints se mettent à pulluler.

S'intéressant avant tout aux parasciences ou au paranormal, "La Recherche" citait l'astrologie, les envoûtements, les sorcelleries, les tables tournantes, la télépathie, les ovni, les fantômes, les revenants, les sourciers... Il faudrait aujourd'hui y ajouter les mancies (cartomancie, chiromancie, voyances en général) ou la numérologie, particulièrement en vogue, y compris pour le recrutement du personnel dans certaines entreprises, ou encore les médecines "douces".

En élargissant ce champ, on citerait l'intérêt pour les sagesses exotiques ou traditionnelles (religions d'autres continents, chamanisme, druidisme...), les textes anciens et les expériences "mystiques", les spiritualités, au sens le plus vaste, les secrets (des templiers, des cathédrales, des pyramides, des Incas, de l'Atlantide). Aux Etats-Unis, notamment, en attendant probablement de venir chez nous, on assiste à une formidable vogue des anges, de leur présence, de leur aide, des expériences avec eux...

Comment comprendre ce foisonnement appelé, trop vite, "irrationnel"? L'interprétation la plus commune veut y voir un besoin de sens dans un monde très rationalisé mais foncièrement absurde. Ce serait donc, aussi et avant tout, une protestation, une issue, un sas, une respiration dans une société froide, d'un matérialisme étouffant, en crise de tout - de travail comme de valeurs.

Mais, maintenant que l'Eglise et la science ont perdu le pouvoir d'imposer aux hommes la norme des croyances bonnes et vraies, il faut plutôt voir, dans ce phénomène, des religions de l'individu, de la satisfaction de personnes préoccupées de leur corps, de leur santé physique et psychique, de leur épanouissement total. Qui veulent pouvoir bénéficier de tous les recours, dans un monde qui reste, malgré tout, très imparfait, un monde où l'on souffre, vieillit et meurt toujours.

La question serait de savoir si cette quête multiple, indéfinie peut apporter aux individus le bonheur tant cherché. Si les réponses qu'on achète, parfois fort cher, sur le marché de ces anciens ou nouveaux biens du salut, comblent effectivement ceux qui les reçoivent...