LE SILENCE DANS L'EDUCATION ET DANS LA FORMATION SPIRITUELLE DE LA PERSONNE CHEZ LES INDIENS D'AMERIQUE DU NORD
Pascal GALVANI
Communication au Groupre de Recherche en Anthropologie Poétique des Pratiques Educative Université ParisVIII
Nous envisagerons successivement l'éducation de l'enfant et la formation de l'adulte. Il ne faudrait pas en effet réduire l'étude de l'apprentissage à l'enfance comme on le fait trop souvent. Si l'éducation des enfants est une activité si importante qu'elle est dévolue aux "anciens" plutôt qu'aux parents directs, elle n'épuise pas l'évolution de la personne. En, fait en matière de formation personnelle tout commence réellement avec la fin de l'adolescence et les premiers actes autonomes d'adulte.
En effet, dans les récits de vie indiens l'autoformation de la personne commence à l'age adulte. Dans son analyse des récits autobiographiques traditionnels, David Brumble remarque : "Le fait le plus manifeste est peut-être l'absence de tout événement relatif à l'enfance. (...) il nous est difficile d'imaginer une autobiographie qui ne prenne pas en compte d'une certaine façon ce que des générations de psychologues nous ont appris à concevoir comme étant Les Années de Formation. (...) En concevant ainsi l'histoire de sa vie, (l'indien White Bull) est pareil aux autres Indiens non acculturés -et probablement à tous les gens sans écriture. L'histoire de sa vie est l'histoire de ses actes, de ses actes d'adulte." (.i.BRUMBLE;, 1993, p.70).
Avant de présenter la place du silence dans l'éducation des peuples natifs de l'Amérique du Nord, il faut souligner qu'il y a dans un tel projet une contradiction de taille. Non pas tant par le fait de parler du silence, mais surtout parce que les cultures traditionnelles indiennes semble très réticentes à conceptualiser les phénomènes. Les indiens abordent plutôt les êtres de manière pratique et symbolique. "Dans les cultures amérindiennes, le processus est plus important que le contenu. Les Amérindiens «apprennent en faisant» à partir de la conviction que nous avons en nous les énergies nécessaires pour faire face à tous les aspects de la vie." (.i.PEELMAN;, 1991, p.155).
Education de l'enfant "I am descended from three tribes : the Shoshone, Goshiute, and Paiute. I am what is known by many tribes as an old people's child because I spend much of my childhood with the elders. I was brought up to respect the earth, nature, elders, and myself. I was brought up to listen, practice, and carry on the tribal customs and traditions they left me. At age four I was Given a legendary name by my grand-grandmother. She called me Tu-wah-oz, child of the stars, a brother of the seven sisters, the stars." (.i.THOM;, 1992, p.21).
Voici comment Laine Thom se présente, de manière très traditionnelle, au début de son livre "Becoming Brave". Il annonce ainsi ses "sources" et sa légitimité à parler d'un tel sujet. Le fait d'être un "enfant d'anciens" c'est à dire d'avoir passé l'essentiel de son temps auprès des anciens (grand parents et arrière grand parents) est une double référence. C'est la garantie qu'il a reçu une éducation indienne traditionnelle. C'est aussi, à notre époque, l'indication qu'il a reçu la tradition de personnes qui n'était pas acculturées puisqu'elles sont nées à la fin du siècle dernier.
Dans ce court chapitre de présentation, aucune parole n'est anodine. Chaque mot peut être médité.
Après ses sources, Laine Thom introduit les notions essentielles de la formation d'un être humain :
- respecter : le monde, les autres, et soi (Ecoformation, Hétéroformation, Autoformation Cf. .i.PINEAU;, 1986),
- écouter (être intérieurement silencieux),
- pratiquer et transmettre les traditions (le cercle).
Le fondement de l'éducation indienne traditionnelle nous est donné immédiatement après. "In the Indian world, all aspects of a man's direction are passed from person to person and génération to generation throught consistent detailed, oral history and repeted ritual. An unending circle." (.i.THOM;, 1992, p.21).
Les enfants sont sous la conduite des anciens. La plupart du temps ils jouent librement ensemble. Il accomplissent parfois de petites tâches pour les anciens qui, en retour, leur confectionnent de petits jouets. Les jouets sont essentiellement des répliques miniatures des objets possédés par les adultes : armes et poneys pour les garçons, tipis et poupées pour les filles. C'est par le jeu et graduellement par une pratique de plus en plus "réelle" que les enfants vont acquérir les compétences de leur vie adulte. Ces jeux sont le plus souvent pratiqués seuls, entre enfants.
Les anciens observent beaucoup ces jeux et l'évolution de chaque enfant, surtout ceux qui par affinité, se sentent un devoir d'enseigner tel ou tel des petits. A certains moments privilégiés (le temps indien) et toujours parce que l'enfants aura montré dans son comportement qu'il était prêt, l'ancien le prendra à part et lui enseignera tel ou tel technique particulière, souvent associée d'un cadeaux.
A d'autres moments ce sont les enfants qui viennent autour d'un ancien toujours prêt à conter l'une des nombreuses légendes par lequel se transmettent les valeurs morales et les connaissances sacrés. "The morals of these stories help to shape his character, and the stories are used as disciplinary tools instead of physical punishment." (.i.THOM;, 1992, p.21).
La répugnance envers l'utilisation de la contrainte et des punitions est un point commun à toute les nations indiennes. Les adultes qui ont la faiblesse de s'y livrer sont méprisés ou pris en pitié. Les punitions "tordent l'esprit des enfants". Lors de l'expédition de 1804 Lewis s'étonnait du fait que les Shoshones ne corrigeaient jamais leurs enfants. "Ils en donnent pour raison que fouetter un garçon le rend timide et brise son courage, et qu'il ne retrouve jamais son indépendance d'esprit." (.i.LEWIS & CLARK;, 1993, p.359). Ces moyens de contrôle peuvent sembler bien faibles à un occidental , et bon nombre de commentateurs contemporains ne voient chez les indiens qu'une éducation de laisser-faire où chacun agit sans frein à son désir. C'est un contresens énorme. Si les contes et les histoires édifiantes suffisent à donner aux enfants une excellente éducation sans avoir recours aux contraintes ni aux punitions, c'est parce que les comportements de générosité, de courage, de droiture et de bonté sont constamment loués et récompensés, alors que sont systématiquement tournés en ridicule et méprisés tout ceux qui se comportent de mauvaise manière. La pression sociale et l'importance de l'honneur sont des contraintes très fortes.
L'évolution de l'enfant est ponctuée des fonctions et des tâches qu'on lui confie et qui sont à chaque fois une récompense immense : avoir l'honneur de servir le peuple. Se voir confier la responsabilité de la garde des chevaux est l'une des ces étapes importante dans les nations nomades. "Under supervision, the boy is shown how to water, graze, and guard the herd. After he has learned to respect their supernatural power and their worth, he his given his first horse." (.i.THOM;, 1992, p.22).
La dimension spirituelle de toute activité est très tôt inculquée. "His religious discipline is introduced early, since daily family life and religion are closely interwined." (.i.THOM;, 1992, p.22).
Mais c'est à l'adolescence que commencera activement le chemin spirituel par la "quête de vision" qui se compose d'un jeûne solitaire et de prières durant plusieurs jours (souvent quatre).