Après un voyage en Amazonie ou elle testa l’Ayahuasca, Corine Sombrun part pour la Mongolie, guidée par un rêve étrange. Là elle apprend avec stupéfaction qu’elle possède des aptitudes au chamanisme. Après maintes péripéties elle se livre elle-même à une séance de transe chamanique.
(une ger)
Voici le récit de la première expérience
de Corine Sombrun en tant que chamane en Mongolie
…Doudgi passe mon tambour dans la fumée d’encens. Tape trois coups. Il me le tend. Mon vaisseau. Toujours aussi lourd. Je serre la barre transversale dans ma main gauche. Je serre ma peur. Au centre. Des petites encoches ont été taillées sur la barre, pour l’emplacement des doigts. Voilà. Je le secoue pour le faire cliqueter. C’est dans le son des grelots que les esprits vont se manifester. Qu’ils vont passer de l’invisible au sonore. Je le soupèse. Je l’enfile. Mon épaule s’adapte à son poids. En place. Doudgi me tend le battoir. Main droite. Je le fais glisser dans ma main, je le retourne pour qu’il trouve sa place. Les assistants s’éloignent. Je me retrouve seule. Sur la piste de cet espace matérialisé par la fumée d’encens. Aire de décollage. Je suis prête.
Le tambour tenu comme un bouclier, je frappe deux petits coups. J’écoute. La direction du son que je dois suivre. Je n’ose pas plonger. Enkhetuya se met alors derrière moi, pose sa main sur la mienne, celle qui tient le battoir, et m’indique la fréquence du rythme en chantant les phrases d’un rituel de décollage. Contact. Le son monte dans mon bras droit. Il frappe. Enkhetuya s’éloigne. Le rythme est là. Il me guide. Il m’emporte. Dans l’intérieur de moi. Un univers s’ouvre. Comme un lever de soleil. Je glisse. La tête dans le tambour. Je voyage. Je tourne. Dans la spirale du son. Dans le noir. Et je passe. La porte du son. Silence. J’avance. Je commence la traversée du monde sans fond. Le loup est là. Il me regarde. Fort. Son cri dans ma gorge. Je renifle. Je crie son cri. Si fort. Il m’appelle. La source. Il donne son rythme à mes cellules. Qui éclatent en formant son image. Je suis un loup. Sa force est en moi. Infinie. Elle avance. Plus loin. Plus fort. Mes griffent se resserrent. Je tourne. Je renifle. Je crache. Là. C’est là. Lancer le battoir. Direction à percer. Fort. Silence. J’écoute. Les grelots. Les esprits sur ma tête. Petits cris. Je pousse des petits cris aigus. Le battoir revient dans ma main. Le son aussi ! Je suis repassée de l’autre côté de la porte. Tourne. Tape. Frappe le tambour. Tombe. Tourner. Tourner. Suivre le son en spirale. Le suivre avec le tambour. Renifler. Là. C’est là. Une présence à faire fuir. Pas bonne. Je souffle. Je crache. Montrer les crocs. Chasser. Grogner. Pour la faire fuir. La chose. Voilà. Elle fuit. On m’attrape. On m’attrape ! On m’assoit. Dans le son de la guimbarde. Le son de retour. Signal d’atterrissage. J’ouvre les yeux. Je vois les yeux d’Enkhetuya. Elle joue de la guimbarde derrière les franges de mon chapeau. Je renifle. Encore. Le loup est toujours là. Joue encore. Ramène-moi. Enkhetuya me tend la guimbarde. Je joue. Voilà. En douceur. Posée dans les marguerites. Les assistants m’entourent. Ils déshabillent la psychonaute. Bottes, costume, chapeau. J’ai froid. Ils m’enfilent le del. Cigarette. Thé. Retour dans le monde où le corps fait mal. J’ai mal au nez ! Un coup sur l’aile droite. Impossible de savoir ce que j’ai fait. Ca lance. Je me frotte le nez en faisant la grimace. Tout le monde rigole. « C’est un coup de tambour, dit Enkhetuya, tu avais toujours la tête dedans ! » Elle me demande si j’ai ressenti une présence néfaste pendant la transe.
- Oui ! Je l’ai même chassée. Pourquoi ?
- Pendant la cérémonie un jeune Mongol est sorti de la ger. C’est son énergie que tu as chassée ?
- Je ne sais pas, moi !
…..Bahirhou frotte sa tête en me regardant. Il me fait comprendre que c’est sur lui que j’ai jeté le battoir.
- Qu’est-ce que ça veut dire quand une personne reçoit le battoir ?
- Ca veut dire que les esprits veulent entrer en contact avec cette personne, dit Enkhetuya, ou que quelqu’un a été désigné…
- Désigné pour quoi faire ? demande la benête.
- Pour être ton mari ! répond l’encan, vautré de rire. Une chamane doit avoir un mari mongol comme assistant !
…… Fais voir tes dents, me demande Laetitia.
-Pourquoi tu veux voir mes dents ?
-Fais voir, c’est tout !
J’exhibe.
- Alors ? C’est grave ?
- Non. Elles sont normales…
- Ben oui, elles sont normales ! Qu’est-ce que t’as avec mes dents !
- Pendant la cérémonie, tu as montré les dents à Bahirhou et ça lui a fait très peur !
Bahirhou confirme. Il dit que mes dents étaient énormes, qu’il les a vues briller à travers les franges de mon chapeau, prêtes à mordre. Tout le monde rit.
…… J’ai commencé la traversée du monde silencieux, tu sais !
- La traversée du monde qui est derrière la porte du son ? Tu as réussi à te stabiliser alors ?
- Oui. C’est là qu’était le loup. Sa tête. Il me parlait. Mais pas en son. C’était comme si je captais ses pensées…
- En tout cas tu as répondu parce que tu t’es mise à hurler comme un loup. C’était tellement fort que ça m’a fait pleurer… Je ne pouvais plus filmer !
Silence. Je suis émue.
- Te voilà chamane confirmée !
Bahirhou me tend le petit verre de vodka. Je bois une gorgée. Je le passe à Laetitia. Chamane confirmée ou pas, tout ce qui m’intéresse est de savoir que j’ai maintenant un vaisseau sur lequel je peux embarquer pour aller explorer le monde. L’autre. L’invisible.
…… C’est vraiment étonnant, dit Laetitia. Bien que tu ne sois pas de culture mongole, plus tu avance dans les transes et plus ton comportement, tes gestes, tes visions d’animaux, sont similaires à ceux des chamanes dont j’ai vu et étudiés les rituels…
- Ca te rapproche de l’idée que la transe serait un phénomène universel propre à l’espèce humaine plutôt qu’un phénomène culturel ?
- Etant donné que tu n’as aucune culture ou croyance mongole, tu en serais la preuve ! Comment pourrais-tu faire les mêmes gestes, avoir les mêmes visions que les chamanes mongols, si la transe ne te connectait pas à une sorte de connaissance non consciente, mais commune aux chamanes ? Une connaissance qui dépasse le cadre culturel…
- Est-ce que ce phénomène d’universalité des transes et des visions ne toucherait pas le fondement même des systèmes de croyances ?
- C’est la grande question…
Intéressante cette question, non ?Extraits de – Mon initiation chez les chamanes- une parisienne en Mongolie-
Corine Sombrun - éditions pocket-Sympathie à toutes et à tous