silence Admin
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| Sujet: Mémoires de Mademoiselle Avrillion et qui concerne Melle Lenormand Sam 25 Juil - 21:07 | |
| Mémoires de Mademoiselle Avrillion Par Charles Maxime Catherinet de Villemarest, Avrillion, France Impératrice Joséphine Extrait de son mémoire, et qui concerne Melle Lenormand
...Quelque temps avant le divorce, le nom de mademoiselle Lenormand s'étant glissé dans la conversation, et plusieurs dames de la cour ayant consulté pour elles-mêmes la fameuse pythonisse de la rue de Tournon, en parlèrent à l'impératrice, ce qui fit naître en sa majesté la curiosité de l'entretenir : ceci était dit plus sur le ton de la plaisanterie que sérieusement. Toutefois, il y eut quelque chose de sérieux, et voici comment : les dames qui avaient consulté mademoiselle Lenormand avaient la plus grande foi dans son savoir ; j'étais loin , je l'avoue, de croire, comme elles, à la sorcellerie et aux divinations ; cependant, ces dames étaient si robustes dans leur crédulité, elles me parlaient si continuellement de mademoiselle Lenormand comme d'un oracle, enfin elles firent tant, que je me décidai à faire par moi-même l'expérience de sa haute science de l'avenir, et j'allai lui faire une visite, après avoir longtemps hésité.
Ayant donc pris ma résolution, je me rendis chez mademoiselle Lenormand avec une dame de mes amies, après nous être toutefois munies d'un rendez-vous de la prophétesse, rendez-vous que nous fit obtenir une personne tierce, sur la discrétion de laquelle nous pouvions compter.
Exactes au rendez-vous, nous arrivâmes rue de Tournon ; on nous introduisit dans un fort beau salon d'attente où un grand nombre de personnes amendaient l'heureux moment où elles pourraient lire dans leur avenir. Avant d'être initiée moi-même aux grands mystères de ma destinée, je liai conversation avec plusieurs dames, qui me parurent être des habituées du lieu ; elles me félicitaient sur la faveur que j'avais eue d'obtenir un rendez-vous, m'assurant que souvent on passait là des journées entières sans pouvoir être admis dans le sanctuaire, et que plusieurs personnes avaient été obligées de revenir jusqu'à trois fois pour jouir de cet insigne honneur.
Notre tour venu, mademoiselle Lenormand nous reçut, mon amie et moi, l'une après l'autre; je ne passai qu'en second, ainsi que nous en étions convenues, et je me trouvai enfin en présence de la fameuse devineresse. La première chose qui me frappa en elle fut sa laideur : elle était vêtue d'une amazone de drap de couleur foncée ; ses formes étaient extrêmement prononcées; enfin, si je n'avais su qui elle était, je l'aurais prise pour un homme travesti en femme. Elle garda un sérieux imperturbable, comme si elle eût cru elle-même à ses jongleries, et me demanda quel jeu je voulais qu'elle me fit; il yen avait, en effet, à des prix différens : car la connaissance de l'avenir a son tarif comme toute autre marchandise, et on ne peut pas en demander plus que pour son argent. Je me contentai du jeu modeste de trois francs, pensant que j'en saurais toujours assez, le prix des jeux variant depuis vingt francs jusqu'à trois.
Lorsque mademoiselle Lenormand se fut livrée à l'exercice de ses fonctions divinatoires, elle me prédit, d'une manière assez exacte, beaucoup de choses passées ; elle me parla beaucoup plus de l'impératrice que de moi, sans toutefois prononcer le nom de sa majesté, mais la désignant de manière à ce qu'il me fût impossible de m'y tromper ; elle me dit que je me trouvais souvent avec de grands personnages, qu'une grande dame avait beaucoup d'amitié pour moi; que cette grande dame avait été veuve; qu'elle s'était remariée, que son mari était un militaire très distingué; elle ajouta qu'elle ne savait pas trop quels étaient mes rapports avec ces grands personnages, mais que j'en avais infailliblement de fréquent, puisque je revenais toujours dans leur jeu ; elle m'apprit que je logeais dans une grande maison où il y avait des sentinelles aux portes ; enfin, elle me fit encore plusieurs autres prédictions accomplies; mais, quant à mon avenir, elle s'étendit beaucoup moins longuement sur ce chapitre.
Je déposai, en lui faisant une révérence, ma faible offrande d'un petit écu, regrettant presque de n'avoir pas fait la dépense du grand jeu, et nous revînmes aux Tuileries comme nous en étions parties, c'est-à-dire dans un modeste fiacre que nous avions eu le soin de prendre sur la place, nous étant d'ailleurs revêtues d'un costume extrêmement simple, ce que nous avions cru de nature à nous mieux déguiser. Voici maintenant quelle part l'impératrice eut dans tout ceci.
Ayant dit à sa majesté que j'avais été voir mademoiselle Lenormand, elle me fit raconter de point en point les détails de ma visite, à peu près tels qu'on vient de les lire ; elle me fit ensuite beaucoup de questions, et, à tout ce qu'elle me dit, il me fut facile de juger que l'impératrice ne connaissait aucunement mademoiselle Lenormand. S'il en eût été autrement, quelle raison aurait-elle pu avoir de m'en faire un mystère? Sûre, comme elle l'était, de ma discrétion, si elle l'avait connue anciennement, sans aucun doute elle m'en aurait dit quelque chose.
Cependant, comme à cette époque on parlait assez généralement, quoique vaguement encore, du divorce de leurs majestés, et comme cette pensée était la plus cruelle qui pût se présenter au cœur de l'impératrice, elle céda à un mouvement de curiosité, et se détermina à consulter mademoiselle Lenormand; mais ce fut par écrit, et par l'intermédiaire d'une des dames du palais, qui croyait à ses prédictions plus qu'à un article de foi. Ce fut cette dame qui présenta à la devineresse la consultation de sa majesté, et rapporta sa réponse, circonstance dont, je dois le dire, elle ne me parla que plus tard.
Après le divorce, sa majesté voulut, une seule fois, à ma connaissance, se donner la distraction de voir mademoiselle Lenormand : elle la fit venir à La Malmaison, et ce fut moi qu'elle chargea du soin de l'y conduire. On lui écrivit pour lui indiquer l'heure à laquelle elle devrait venir me prendre au palais de l'Elysée; elle s'y rendit, et nous montâmes en voiture, sans qu'elle m'eût reconnue pour avoir été chez elle. Mademoiselle Lenormand m'offrit, avec une extrême obligeance, de me faire gratuitement le plus efficace de tous ses jeux, ce dont je la remerciai fort humblement : j'en avais assez comme cela.
Peut-être, depuis cette visite , mademoiselle Lenormand a-t-elle eu l'occasion de revoir l'impératrice; mais, ce que je puis affirmer, c'est que cela ne fut jamais à ma connaissance : or, comment supposer qu'après lui avoir une fois servi d'introductrice, sa majesté en aurait choisi une autre, ou se serait cachée de moi? |
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