L'objectif de la pratique du yoga du rêve est la libération ; nous devons avoir pour objectif de réaliser entièrement ce qui se cache derrière les rêves. Mais il existe aussi des usages relatifs du rêve qui peuvent s' avérer profitables dans notre vie quotidienne. Nous pouvons à la fois employer les informations qu'ils nous fournissent et profiter directement des expériences que nous y vivons. En Occident, par exemple, l'usage thérapeutique des rêves est général, et l'on cite nombre de scientifiques et d'artistes qui mettent leur créativité onirique au service de leur oeuvre. Les Tibétains font aussi confiance aux rêves de plusieurs manières. Cet enseignement décrit quelques utilisations des rêves.
LES TROIS SORTES DE RÊVES
Il existe trois types de rêves qui forment une progression dans la pratique du yoga du rêve, même si elle n'est pas tout à fait exacte. Ce sont :
les rêves samsariques ordinaires,
les rêves de clarté,
les rêves de claire lumière.
Les deux premiers groupes se distinguent par leurs causes différentes et le fait que le rêveur peut y être lucide ou non-lucide. Les rêves de claire lumière, eux, se caractérisent par la présence de la conscience et l'absence de dichotomie sujet/objet ; ils se produisent dans la conscience non-duelle.
RÊVES SAMSARIQUESLes rêves que la plupart d'entre nous faisons sont en général les rêves samsariques qui naissent à partir des empreintes karmiques*. La signification donnée à ces rêves est celle que nous y projetons ; elle est attribuée par le rêveur et n'est pas inhérente au rêve. C'est aussi le cas du sens de notre vie à l'état de veille. Cela ne transforme pas pour autant les rêves qui ont du sens en rêves insignifiants, ni ne rend insignifiant le sens de notre vie. Le processus s'apparente à la lecture d'un livre. Le livre n'est qu'un ensemble de signes sur du papier, mais du fait que nous lui appliquons notre sens de la compréhension, nous pouvons en tirer une signification. Et la signification d'un texte, comme celle d'un rêve, est une question d'interprétation. Deux personnes lisant le même livre peuvent avoir des expériences de lecture tout à fait différentes ; l'une peut changer totalement sa vie du fait de la compréhension qu'elle a eue du livre, alors que l'autre sera modérément, sinon pas du tout, intéressée. Le livre n'a pas changé. Le sens est d'abord projeté par le lecteur sur les mots, puis il en est extrait.
RÊVES DE CLARTÉQuand la pratique du rêve progresse, les rêves deviennent plus clairs et plus précis, et l'on se souvient en grande partie de chacun d'eux. Cela résulte de l'attention plus vive que l'on porte à l'état de rêve. Au-delà de cette attention plus vive portée aux rêves ordinaires, il existe une deuxième sorte de rêve, le rêve de clarté. Il se développe quand l'esprit et le prana sont équilibrés et que le rêveur devient capable de rester dans la présence non-personnelle. A l'inverse du rêve samsarique dans lequel l'esprit est entraîné ici et là par le prana karmique, dans le rêve de clarté l'esprit du rêveur est stable. Les images et l'information continuent de s'élever. Elles reposent cependant moins sur les empreintes karmiques personnelles et présentent plutôt la connaissance directement disponible dans la conscience sous-jacente au plan du moi conventionnel. Il existe une différence analogue entre le prana karmique violent du canal blanc, lié à l'émotion négative, et le prana vertueux de sagesse du canal rouge : il s'agit dans les deux cas de prana karmique —l'énergie impliquée dans les expériences de la dualité — mais l'un est plus pur et moins entaché d'illusion que l'autre. De même, le rêve de clarté est plus pur et moins entaché d'illusion que le rêve samsarique. Tout se passe dans le rêve de clarté comme si quelque chose était donné au rêveur, ou trouvé par lui, alors que dans le rêve samsarique, c'est le rêveur qui projette une signification sur la pureté de l'expérience fondamentale.
Chacun peut à l'occasion avoir des rêves de clarté, mais ils sont inhabituels tant que la pratique n'est pas développée et stable. Pour la plupart d'entre nous, tous les rêves sont samsariques et fondés sur notre vie et nos émotions quotidiennes. Même s'il nous arrive de rêver d'enseignements, de nos maîtres, de notre pratique, de bouddhas, ou de dakinis*, il n'en est pas moins très probable que ces rêves soient samsariques. Si nous sommes engagés dans une pratique avec un maître, alors, évidemment, nous allons en rêver. C'est un signe positif. Il témoigne de notre implication dans l'enseignement, mais celle-ci est en elle-même duelle et appartient de ce fait au samsara. Le samsara associant le pire et le meilleur, il est salutaire d'être totalement engagé dans la pratique et l’enseignement parce que c’est le chemin de la libération. Mais il est également salutaire de ne pas se tromper en prenant des rêves samsariques pour des rêves de clarté.
Si nous commettons l'erreur de croire que les rêves samsariques nous offrent de vrais conseils, changer quotidiennement notre vie pour essayer de les suivre peut devenir un travail à plein temps. C'est aussi un moyen de s'enliser dans son propre cinéma que de prendre tous les rêves pour des messages émanant d'une source spirituelle supérieure. Cela ne se passe pas comme ça. Nous devons faire très attention aux rêves et devons pouvoir discerner ceux qui ont de l'importance de ceux qui traduisent seulement les émotions, désirs, peurs, espérances et fantasmes de notre vie quotidienne.
RÊVES DE CLAIRE LUMIÈRELe rêve de claire lumière est un troisième type de rêve, qui apparaît lorsqu'on est très avancé sur le chemin. Il naît du prana primordial dans le canal central. La claire lumière généralement évoquée dans les enseignements sur le yoga du sommeil désigne un état dépourvu de rêve, de pensée et d'image. Mais il existe aussi un rêve de claire lumière, dans lequel le rêveur reste dans la nature de l'esprit. Ce n'est pas un accomplissement facile ; le pratiquant doit être très stable dans la conscience non-duelle avant qu'apparaissent les rêves de claire lumière. L'auteur d'un important commentaire du Tantra Mère, Gyaltsèn Milu Samlèk, écrit qu'il pratiqua assidûment pendant neuf ans avant d'avoir des rêves de claire lumière.
Développer l'aptitude aux rêves de claire lumière et développer l'aptitude à rester dans la présence non-duelle de rigpa pendant la journée sont comparables. Au commencement, rigpa et la pensée semblent différents : quand on est en rigpa, il n'existe pas de pensées et si des pensées surviennent, on perd rigpa. Mais quand on a acquis la stabilité en rigpa, la pensée vient et s'en va sans le moins du monde obscurcir rigpa ; le pratiquant demeure dans la conscience non-duelle. Cette situation ressemble à l'apprentissage du jeu simultané de la cloche et du tambourin pendant un rituel : au début, on ne peut jouer qu'un instrument à la fois. Si l'on joue de la cloche, on perd le rythme du tambourin, et vice-versa. Ensuite, on trouve l'équilibre et l'on est capable de jouer simultanément des deux.
Le rêve de claire lumière n'est pas analogue au rêve de clarté. Ce dernier, qui naît d'aspects profonds et relativement purs de l'esprit, et qui est engendré par des empreintes karmiques positives, reste néanmoins dans la dualité. Le rêve de claire lumière, bien qu'il émerge d'empreintes karmiques du passé, n'aboutit pas à une expérience dualiste. Le pratiquant ne se retrouve pas sujet observant un rêve objet, ni sujet dans le monde du rêve, mais demeure entièrement intégré à rigpa non-duel.
Les différences entre les trois sortes de rêves peuvent paraître subtiles. Le rêve samsarique s'élève à partir des empreintes karmiques et des émotions individuelles, qui façonnent tout son contenu. Le rêve de clarté contient une connaissance plus objective, qui naît des empreintes karmiques collectives et est accessible à la conscience lorsque celle-ci n'est plus prisonnière des empreintes karmiques personnelles. La conscience n'étant alors plus liée par l'espace, le temps et l'histoire personnelle du rêveur, celui-ci peut contacter des êtres réels, recevoir des enseignements de maîtres réels, et trouver des informations bénéfiques pour lui-même et pour autrui.
Le rêve de claire lumière n'est pas défini d'après son contenu. Il est rêve de claire lumière parce qu'il ne s'y trouve pas de rêveur-sujet ou pourvu d'un ego, ni de moi en relation duelle avec le rêve ou son contenu. Le rêve n'est qu'un mouvement de l'esprit qui ne perturbe pas la stabilité du pratiquant établi dans la claire lumière.