L’association du Tarot et des Lettres hébraïques est une « invention » récente, puisqu’elle émane des ésotéristes du XIXe siècle. Rien ne permet en effet de relier plutôt le Tarot à la Kabbale qu’à d’autres traditions, qu’elles soient indienne, égyptienne ou arabe. Laissons aux nombreux auteurs qui se sont penchés sur la question le soin de défendre leur théorie, pour ne parler que de la manière dont les Lettres ont été associées aux lames majeures du Tarot.
Le premier à faire cette association est Eliphas Lévi (abbé Constant) au XIXe siècle, repris par Papus (Gérard Encausse). Mais le premier travail complet est celui d’Oswald Wirth en 1920 avec son Tarot des imagiers du Moyen-Age. Parallèlement, Aleister Crowley travaille sur son livre de Thot, qui vise lui aussi à faire un rapprochement entre le Tarot et la Kabbale. « À l’aube du XXe siècle, écrit un grand maître de l’O.T.O. en préambule à cet ouvrage, la vraie signification de la Kabbale dans les cartes du Tarot était un des secrets de magie parmi les plus jalousement gardés ». Aleister Crowley commence à publier sur le sujet dès 1909, lors du schisme de la Golden Dawn, et un des premiers tarots qu’il utilise pour ses propres travaux est celui de Wirth. Son jeu et son livre sortent à la fin de la seconde guerre mondiale. Plus près de nous, Jean Bauchard, lorsqu’il conçoit son Tarot symbolique maçonnique, reprend les associations lames majeures-Lettres selon la même tradition.
Associer les lames majeures du Tarot et les Lettres hébraïques était d’autant plus tentants qu’elles sont au nombre de 22. La question principale a donc été l’ordre dans lequel placer les arcanes par rapport aux Lettres.
Il y a 22 Arcanes Majeurs, qui représentent les relations entre les Séphiroth ou Choses-en-Soi. Leurs positions sur l’Arbre de Vie sont donc significatives. Prenons quelques exemples. L’Arcane intitulé « Les Amoureux », dont le nom sacré est « Les Enfants de la Voix, l’Oracle des Dieux Puissants », conduit du nombre 3 au nombre 6. Le nombre 6 est la personnalité humaine de l’homme alors que le nombre 3 est son intuition spirituelle. Il est donc naturel et significatif que l’influence du 3 sur le 6 soit celle de la voix de l’intuition ou de l’inspiration. […]
Comme vous pouvez le voir, l’association du Tarot à la Kabbale s’effectue en transposant l’Arbre de Vie à la construction du jeu. Pour toute cette école venant de la maçonnerie, l’Arbre de Vie est le fondement de tout le système sur lequel repose le Tarot. Les lettres représentant les chemins de l’Arbre de Vie se retrouvent associées aux lames majeures qui les représentent également.
(Oswald Wirth) (Aleister Crowley)
Oswald Wirth et Aleister Crowley travaillent à la même époque sur la mise en relation « officielle », en tous cas diffusée aux initiés de leurs ordres respectifs, des lames majeures du Tarot de Marseille et des lettres hébraïques. Tous deux ont fréquentés les mêmes cercles et se détestent cordialement. Chacun d’eux n’hésitera pas à traiter l’œuvre de l’autre de nombreux noms d’oiseaux et à prétendre que lui seul a raison. Cependant, aucun des deux n’a suffisamment convaincu pour imposer intégralement ses choix.
Crowley prend comme carte de départ, pour la première lettre Aleph, le Mat, seule carte sans chiffre. Wirth, suivi par Bauchard, opte pour le Bateleur. S’il n’y avait que ce décalage d’une place, il serait encore facile de s’y retrouver. Mais ça se complique : Crowley bouleverse l’ordre des lettres cette fois en mettant l’Étoile XVII à la place de l’Empereur IV dans ses associations, Bauchard inverse le Chariot et la Justice, etc. D’autres auteurs opteront pour d’autres répartitions, ce qui fait qu’il y a autant de versions que de tarots ou presque !